Review of “Ces étrangers du dedans: une histoire de l’écriture migrante au Québec (1937–1997)”


Yvon Le Bras
Department of French and Italian, Brigham Young University
Provo, UT 84602
yvon_lebras@byu.edu


Clément Moisan et Renate Hildebrand. Ces étrangers du dedans: une histoire de l’écriture migrante au Québec (1937–1997). Québec: Éditions Nota Bene, 2001. Pp 364.


Étant donné le grand nombre d’œuvres littéraires produites au Québec au cours des dernières décennies par des auteurs venus d’ailleurs, il était temps que quelqu’un se penche sur ce vaste corpus pour essayer d’y voir plus clair et de mesurer aussi objectivement que possible l’importance de ce phénomène. Clément Moisan et Renate Hildebrand se sont acquittés brillamment de cette tâche et, ce faisant , ont mis à la disposition de tous ceux qui s’intéressent à la littérature québécoise plus qu’un simple ouvrage d’histoire littéraire, une véritable réflexion sur cette dernière.

Depuis la confédération de 1867 l’idée d’une “littérature nationale” de langue française en Amérique du Nord est demeurée longtemps ambiguë. Canadienne et française sans l’être tout à fait, francophone sans trop savoir à quoi ce rattachement correspond, la littérature en question, désormais qualifiée québécoise, est malgré tout sortie peu à peu de l’obscurité pour jouir d’une visibilité au-delà de ses frontières que les moyens de connaissance et de diffusion (enseignement, édition, prix, journaux , revues spécialisées, etc.) ont rendu possible. C’est dans ce contexte que se pose la question de savoir quelle a été la contribution des immigrants au développement d’une littérature toujours en quête de son identité.

Plutôt que de considérer les œuvres néo-québécoises comme un ensemble auxiliaire, ou d’en faire un genre mineur à caractère ethnique, nos deux auteurs s’attachent à montrer dans leur livre qu’elles “jouent comme des éléments de la littérature québécoise, en sont une partie qui, fonctionnant à l’intérieur du système, le modifient plus ou moins selon une certaine évolution” (320). La notion d’écriture migrante proposée par Robert Berrouët-Oriol pour désigner cette composante ethnoculturelle de la littérature québécoise apparaît alors justifiée, le terme “migrante” ayant l’avantage, comme le précise Pierre Nepveu “de pointer vers une pratique esthétique, une dimension évidemment fondamentale pour la littérature actuelle” (265) fortement inspirée par l’expérience de l’exil réel ou imaginaire.

Envisagée dans le cadre d’un rapport dialectique entre les œuvres littéraires néo-québécoises et celles de la communauté d’accueil, l’histoire de l’écriture migrante au Québec que retracent Clément Moisan et Renate Hildebrand s’appuie aussi sur un modèle socio-culturel qui prend en compte l’influence de ces écritures “autres” que sont les données sociales, morales ou politiques dans le processus de création littéraire. Les quatre périodes qui servent de chapitres à l’ouvrage correspondent donc aux transformations successives, de nature essentiellement culturelle, qui orientent et jalonnent cette évolution:

1) La période de 1937 à 1959 se caractérise par son aspect uniculturel. Les écrivains nouvellement arrivés au Québec sont pour la plupart originaires de France, de Belgique ou de Suisse et leur écriture s’aligne en quelque sorte sur celle des écrivains québécois. Participant à l’élaboration de thématiques nouvelles, c’est surtout dans le domaine de la poésie qu’ils se distinguent.

2) De 1960 à 1974, à l’époque de la révolution tranquille, le pluriculturel domine la scène politique et sociale et laisse libre cours à l’expression de voix divergentes. La majorité des auteurs immigrants viennent désormais d’une plus grande variété de pays francophones ou non. Si leurs œuvres se situent souvent dans le contexte québécois, cela ne les empêche pas d’évoquer leurs expériences passées et le pays abandonné. Du même coup, le paysage littéraire québécois s’en trouve particulièrement élargi.

3) Entre 1976 et 1985, la présence au Québec des écrivains immigrants est de plus en plus manifeste et leurs œuvres tendent à se distinguer de celles des écrivains québécois proprement dits. L’apparition de thèmes qui gravitent autour de la quête d’identité, de l’altérité, du métissage ou de l’hybridation plonge les lecteurs dans le monde de l’interculturel. La problématique du déracinement et de l’enracinement marque ce qu’on appelle alors l’écriture immigrante et la situe dans une relation de conjonction et d’opposition par rapport à la composante majeure de la littérature québécoise.

4) Si l’écriture immigrante était axée sur le passé et le présent des cultures de départ et d’arrivée, l’écriture migrante qui prend forme à partir de 1986 est “portée désormais par un déplacement possible vers et à travers l’autre” (208). Les écrivains d’ici et d’ailleurs s’entrecroisent et se font médiateurs, agents de transferts culturels en partageant sujets et thèmes, formes romanesques, théâtrales ou poétiques. En ce sens, il est aisé de confondre les deux types d’œuvres puisqu’elles tendent à devenir plurielles, produits de subtils tressages entre les cultures québécoise et néo-québécoise.

En dépit de son caractère schématique et parfois superficiel, l’étude à laquelle se livrent Moisan et Hildebrand est claire et bien structurée. Elle fait le point sur un courant relevé dans la plupart des anthologies de la littérature québécoise les plus récentes mais sans avoir été analysé globalement jusqu’à présent. Il ne fait aucun doute, cependant, que la remise en question des bases mêmes de la notion de littérature québécoise qui nous est proposée ici fera sourciller certains lecteurs. En cherchant à montrer comme ils le font que “toute littérature peut être dite migrante” (326), l’on est en droit de se demander si les auteurs de Ces étrangers du dedans, emportés par leur élan, ne cèdent pas quelque peu à la généralisation. La célèbre querelle entre Monique Larue et Ghila B. Stroka mentionnée à la fin de l’ouvrage illustre à quel point il est difficile de discuter ce sujet d’une manière impartiale. À défaut de convaincre tout à fait, leur approche a toutefois le mérite d’aborder le problème d’une façon systématique. En soulignant les effets bénéfiques de la fusion des cultures, elle permet d’envisager l’avenir de la littérature québécoise avec optimisme.

 

#C. Moisan et R. Hildebrand#Ces étrangers du dedans: une histoire de l'écriture migrante au Québec (1937–1997)#Vol. 1 Issue 1 Fall 2002#Yvon Le Bras