Le Théâtre du Panorama-Dramatique, un laboratoire théâtral sous la Restauration


Olivier Bara
Université Lyon 2 – UMR LIRE, CNRS-Lyon 2


La place occupée par le Panorama-Dramatique dans l’histoire du théâtre est modeste, aux dimensions de cette petite salle à l’existence brève qui se dressa un temps boulevard du Temple. Son règne dura à peine plus de deux ans : elle naquit le 14 avril 1821, jour de son inauguration, et mourut brutalement le 21 août 1823 après une dernière représentation à bénéfice. La salle construite spécialement pour ce Panorama-Dramatique ainsi que les dispositifs scéniques furent détruits rapidement, et les traces de ce petit théâtre disparurent du paysage urbain. Petite fortune et grosse infortune : tout s’acheva par une faillite, tout finit dans la poussière des gravas. Soixante-huit pièces furent tout de même jouées au Panorama-Dramatique, dont quarante-huit nouveautés : l’activité fut intense, en dépit des déboires administratifs, financiers et architecturaux.1 En dépit aussi d’un projet esthétique peut-être vicié dès l’origine : le nom choisi pour ce théâtre éclaire l’utopie qui présida à sa naissance, celle d’une fusion du dispositif panoramique et des structures traditionnelles du spectacle dramatique.

Le Panorama-Dramatique était le fruit d’une ambition collective, artistique et commerciale : celle que nourrirent quelques-uns des grands noms de la scène et de la décoration théâtrale de la première moitié du XIXe siècle. Le peintre Jean-Pierre-Noël Alaux, ou Alaux aîné,2 initiateur du projet et maître d’œuvre, était l’ami d’Isidore Taylor (devenu baron Taylor en 1825) qu’il fréquenta dans l’atelier du peintre-décorateur de l’Opéra, Degotti. Taylor et Alaux y avaient rencontré Louis-Jacques Mandé, dit Daguerre, le fondateur du Diorama qui serait inauguré le 11 juillet 1822 (Comment 30-34). Taylor fut non seulement auteur de plusieurs pièces écrites pour le Panorama-Dramatique, mais également administrateur adjoint de ce théâtre avant son départ pour la campagne militaire espagnole au printemps 1823. Sa collaboration au Panorama-Dramatique servit à Taylor de tremplin pour décrocher, en 1825, le poste de Commissaire royal auprès de la Comédie-Française, temple du classicisme qu’il ouvrirait à la dramaturgie romantique de Dumas, Vigny ou Hugo.3 Charles Nodier, qui venait de rédiger avec Taylor les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France (1820), fut aussi de l’aventure. Il fut ainsi co-auteur avec Taylor d’un des plus fameux mélodrames créés au Panorama-Dramatique, Bertram ou le Pirate,4 et fit partie du Comité de lecture du théâtre. Pierre Cicéri, le célèbre décorateur de l’Opéra, autre ancien rapin, camarade d’Alaux et de Taylor, travailla pour cette nouvelle scène aux côtés des peintres Julien-Michel Gué, un élève de David, et Nicolas-Louis-François Gosse. Enfin, Solomé, régisseur de scène à la Porte Saint-Martin, à l’Opéra (1827-31) puis à l’Opéra-Comique (1831-34), “metteur en scène” avant l’heure, fit aussi ses armes dans ce théâtre. Ajoutons à cette liste le nom de Victor Hugo : le jeune homme présenta au Panorama-Dramatique un de ses tout premiers essais dramatiques, le mélodrame Inez de Castro, reçu mais non représenté, sans doute pour cause de censure (Hugo t. I).

Tous ces personnages, figurant parmi les grands rénovateurs de la scène française sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, se croisèrent un temps au Panorama-Dramatique et firent de ce petit théâtre du Boulevard du Crime un éphémère laboratoire dramatique. Pour la plupart peintres ou dessinateurs de formation, ils parièrent sur le nouvel engouement du public pour l’industrie du spectacle et des arts visuels. La réunion même des noms de Daguerre, Alaux, Taylor ou Nodier montre que la révolution théâtrale et l’invention du panorama étaient alors indissociables.

L’ obstacle du privilège

Le système des privilèges qui régissait la vie théâtrale du XIXe siècle est assurément responsable du triste destin du Panorama-Dramatique. A la liberté théâtrale octroyée par la loi Le Chapelier en 1791 a succédé, sous l’Empire, un régime de surveillance et de contrainte étroites. Les décrets napoléoniens de 1806 et 1807 ont réduit drastiquement le nombre de théâtres parisiens à quatre théâtres principaux et quatre scènes secondaires. Ce régime fut toutefois assoupli sous la Restauration, l’autorisation donnée à de nouveaux théâtres comme le Gymnase-Dramatique contribuant à ébranler le strict édifice napoléonien. En 1821, année de l’inauguration du Panorama-Dramatique, le boulevard du Temple offrait six lieux officiels de spectacle de théâtre ou de curiosités : les Funambules, le théâtre de Madame Saqui, le Cirque-Olympique, la Gaîté, l’Ambigu-Comique et le Petit-Lazari. Le premier défi relevé par l’initiateur du Panorama-Dramatique, Alaux, a donc consisté à obtenir un privilège pour ouvrir une septième salle sur le boulevard au moment où le Conseil d’Etat déclarait vouloir borner la multiplicité exagérée des théâtres “dans l’intérêt de l’art dramatique et des mœurs.”5

En 1818 et 1819, Alaux sollicite la permission d’établir un spectacle mécanique intégrant des jeux scéniques, ou “panorama dramatique” (Villemain). Le genre serait neuf et tendrait au perfectionnement de l’illusion théâtrale. Dans ces œuvres, “les scènes et les tableaux seront mêlés d’interlocuteurs” chargés d’expliquer l’action représentée (Villemain). Le décorateur-entrepreneur se situe alors dans la lignée du célèbre M. Pierre, qui séduisit les yeux des Parisiens par son “spectacle pittoresque et mécanique” mêlant des tableaux mouvants, des acteurs automates, et un seul personnage vivant, M. Pierre en personne.6 Alaux est appuyé par le duc de La Rochefoucauld, directeur du département des Beaux-Arts, proche ami du beau-père d’Alaux,7 et par le marquis de Grave. Grâce à ces puissants appuis, il obtient une autorisation d’ouvrir son théâtre le 26 avril 1819 : elle est accordée par le préfet de police, avec l’accord du ministre de l’Intérieur, et non par une ordonnance royale. Cette dérogation aux usages entraînera des protestations de la part des membres du conseil du roi.8 Cette autorisation arrachée aux autorités politiques est particulièrement restrictive : elle spécifie que le théâtre ne pourra donner que des scènes dialoguées à deux personnages seulement pour aider à l’explication du sujet, essentiellement visuel. Pourront y être joints d’autres personnages, muets, afin de former des représentations pantomimes (Lettre du 22 juin 1819). Le préfet de police, en accordant ce privilège restreint, a le souci de ne point éveiller l’animosité des autres théâtres secondaires, toujours prompts à crier à la concurrence déloyale à chaque ouverture de théâtre : “aucun personnage vivant, c’eût été le moyen d’éloigner toute ressemblance et toute rivalité avec les autres théâtres” déclare-t-on en haut lieu (Lettre du 26 avril 1819). Les sujets dramatiques doivent en outre être issus des répertoires étrangers – “des sujets traduits des auteurs comiques ou dramatiques allemands, anglais et italiens” précise le préfet de police (Lettre du 2 avril 1819). L’obsession de ce dernier est de cantonner cette nouvelle salle dans le domaine des “spectacles de curiosités,” catégorie inférieure des scènes à qui est refusé le nom de théâtre : il s’agit pour cela de prescrire “le prix des entrées, principalement celui des places les plus élevées, et surtout le nombre fixe des personnages qui figureront dans la pantomime.” Et le préfet d’ajouter : “Ce n’est, je le présume, qu’au moyen de ces règles que l’établissement projeté par le sr Allaux [sic] restera rangé dans la classe des petits spectacles d’amusement […]” (Lettre du 8 juin 1819). Le Panorama-Dramatique voit ainsi sa créativité d’emblée bridée par le système des privilèges. La presse s’en émeut : “Messieurs, empêchez qu’on ouvre de nouveaux théâtres, soit : mais quand vous en autorisez, ne les bâillonnez point. N’imposez pas à de pauvres auteurs la nécessité d’être sots et absurdes” (Almanach 227). Cela dit, bien des théâtres apprennent à contourner la législation, et à élargir habilement leur privilège : le Cirque-Olympique et le Gymnase-Dramatique en offrent l’éclatant exemple sous la Restauration (Yon 83-98).

Fort de ce premier succès, certes mitigé, Alaux acquiert un terrain situé sur le boulevard du Temple, au n° 48, près du Théâtre de la Gaîté, vis à vis du Jardin turc, à l’emplacement de l’ancien café du Bosquet. L’édifice est bâti en une année. Une première troupe est réunie : aucune célébrité ne brille parmi les vingt-cinq acteurs ou actrices, mais une future vedette de la comédie fait ses débuts au Panorama-Dramatique : Bouffé (Bouffé 38-40). Dix-huit danseurs ou danseuses, huit figurants, un orchestre de vingt-deux instrumentistes et son chef, Marty. La compagnie est très vite en ordre de marche. Le théâtre est inauguré le 14 avril 1821, en présence du duc d’Orléans : on joue pour l’occasion un prologue en un acte mêlé de couplets, Monsieur Boulevard de Carmouche, Rougemont et Merle, suivi d’une pièce en trois actes à grand spectacle, Ismayl et Maryam, ou l’Arabe et la Chrétienne, de Frédéric Dupetit-Méré et Taylor, porté par la musique d’Alexandre Piccini.9

La première année d’exploitation, pendant la saison 1821-1822, parvient tout juste à équilibrer les dépenses et les recettes, sans dégager un profit suffisant pour rembourser l’investissement initial. Malade et endetté, Alaux est contraint de passer la main à l’actionnaire majoritaire de la société anonyme, Langlois. Le 1er avril 1822, Pierre-Honoré Langlois de Saint-Montant,10 ancien officier, acquiert le bail du privilège pour vingt ans et devient directeur. Il s’adjoint le baron Taylor pour diriger la scène et enlève au théâtre de la Porte Saint-Martin son régisseur, Solomé.11 Il constitue aussi un comité de lecture comprenant Nodier, Merville, de Latouche, Jal, Gosse et Taylor (Almanach K.Y.Z. 139-140). Alaux reste attaché au Panorama-Dramatique comme peintre. Langlois investit dans de nouveaux décors, des costumes et des machines, de manière à compléter les ressources du jeune théâtre : “L’établissement manquant de tout, M. Langlois, voulant lui donner une impulsion nouvelle, fit ses dispositions telles, qu’en quelques mois, il fut pourvu de décors, machines, costumes, etc., etc. Enfin aujourd’hui il peut marcher à l’égal de tout théâtre” (Précis 7). La direction de Langlois commence sous les meilleures auspices, puisque le ministre lève l’obligation de ne montrer que deux acteurs parlants : le théâtre peut construire ses spectacles non plus sur le seul prestige visuel, mais aussi sur le développement dramatique. A partir de mai 1822, quatre ballets-pantomimes sont empruntés à la Porte-Saint-Martin pour nourrir le répertoire (Wild 356).12 Pourtant, il sera vite reproché à Langlois d’outrepasser les bornes de son contrat en représentant tout bonnement des mélodrames, comme sur les théâtres voisins, alors que le privilège, à l’origine, n’autorisait qu’un jeu de décorations animées par quelques acteurs chargés de la pantomime. Les œuvres inscrites à l’affiche sont en effet signées Pixerécourt (une reprise du célèbre Victor, ou l’Enfant de la forêt a lieu le 26 décembre 1821), Carmouche ou Caigniez.

Malgré ses efforts, Langlois est amené à déposer son bilan en avril 1823, avec un passif de huit-cent-mille francs. Le Panorama-Dramatique est entré en concurrence directe avec l’Ambigu-Comique et la Gaîté, riches de trente ans d’activité : leurs magasins de décors et de costumes opulents étaient enviés par le jeune théâtre, contraint de se ruiner à créer les conditions du grand spectacle.13 L’avant-dernière pièce donnée au Panorama-Dramatique, Le Pauvre Berger, un mélodrame historique de Carmouche, Decomberousse et d’Aubigny, le 17 juin 1823, est l’occasion d’un fiasco causé par un désir de surenchère dans l’illusion spectaculaire : vingt brebis vivantes, figurantes indisciplinées, sautent parmi le public d’avant-scène aux premiers applaudissements. Elles sont remplacées dès le lendemain par des brebis en carton, plus dociles et plus aptes, par leur intégration aux autres éléments décoratifs, à susciter l’illusion visuelle. Un dernier spectacle est créé le 4 juillet 1823, La Romance et la gavotte, simple comédie anecdotique en un acte ne mobilisant plus aucun décor panoramique.

La clôture officielle du théâtre, sur ordre de la préfecture de police, a lieu le 21 juillet. Les acteurs obtiennent des autorités cinq représentations à leur bénéfice, destinées à leur donner quelques ressources financières pour attendre la prochaine saison théâtrale et de nouveaux engagements ailleurs.14 Le rideau tombe définitivement sur la scène du Panorama-Dramatique le 21 août 1823. Les démarches de la duchesse de Berry en faveur de cette jeune institution n’y changeront rien. Celles de mesdames Alaux et Nodier non plus. Mis en vente le 11 mars 1824, le Panorama est acheté, puis rasé pour laisser place à une maison de six étages. Alaux demandera en vain un autre privilège pour fonder un nouveau théâtre : appelé “Théâtre sans prétention,” cette scène ne montrerait, promet-il, que des pantomimes à deux personnages parlants et des ballets d’enfants : elle donnerait deux représentations le dimanche (Lettre au ministre de l’Intérieur du 1er octobre 1832). Mais les autorités reçoivent une multitude de demandes similaires. Elles appuient en outre leur refus sur un alinéa du décret napoléonien du 8 juin 1806 : “tout entrepreneur qui aura fait faillite ne pourra plus rouvrir de théâtre” (Lettre du ministre [de l’Intérieur ?] au préfet de police Delavau du 19 juillet 1823). Alaux ouvrira en 1827 un Néorama, rue Saint-Fiacre, dispositif proche du panorama classique, et dénué cette fois de toute prétention dramatique.

La salle : le dispositif panoptique

Les ambitions théâtrales et scéniques d’Alaux transparaissent dans le prologue mêlé de couplets donné lors de l’inauguration du théâtre et intitulé Monsieur Boulevard (Balisson). Dès les premières scènes, le Boulevard personnifié affirme être fâché par cette verrue que constitue le vieux café du Bosquet, toujours fermé, sur le boulevard du Temple, au milieu du bel alignement des théâtres. Le Diable apparaît alors, représentant Alaux. C’est un diable boiteux : Alaux s’est cassé la jambe pendant la construction de son théâtre. Comme un bon diable qu’il est, le personnage accomplit aussitôt le vœu de Monsieur Boulevard de voir s’élever un nouveau théâtre à la place du café du Bosquet : on entend sous terre, ou sous la scène, des coups de marteau : apparaît brusquement par un changement de décor la façade du théâtre du Panorama-Dramatique, avec, sur le fronton, les figures de Melpomène et Thalie ainsi que les armes de France portées par des génies. Face au machiniste, Monsieur Boulevard déclare sa volonté de “parler aux yeux,” et de se “distinguer au moins par les décors,” tous les genres étant déjà pris. Et le machiniste de vanter en chanson ses talents “vraiment magiques” : “J’ai des mannequins mécaniques / Que par ressort je fais mouvoir : / Ils sont aussi grands que nature, / Parlent, chantent, et caetera.” Il prétend aussi, en bon aboyeur, escamoter une décoration “avec une promptitude extraordinaire.” Ce Panorama-Dramatique s’annonce clairement comme un théâtre “oculaire” selon l’adjectif utilisé plus tard par Théophile Gautier pour parler du Cirque-Olympique.15 Enfin, dernier personnage à apparaître, la fée silence surgit sur son char : elle avait choisi ce lieu pour sa retraite et s’en trouve bannie par les éclats du spectacle nouveau. Pour punition, elle condamne au silence la plupart des acteurs, qui “ouvriront la bouche sans rien dire.” Allégorique et piquante manière de mettre en scène la restriction du privilège accordé au Panorama-Dramatique : ironique façon aussi de représenter sur scène, après le directeur en diable boiteux, les autorités politiques en fée protectrice mais castratrice.

Les plans de la salle ont été dessinés sous la conduite d’Alaux et de Taylor guidant les travaux des architectes Vincent et Châtelain. Le terrain, par sa forme irrégulière, favorisait l’architecture théâtrale : le préfet de police souligne en avril 1819 que l’installation du dispositif d’Alaux doit bénéficier de l’irrégularité du terrain, dont la pente permet d’abaisser le fond de la scène et de remplacer ainsi l’effet de perspective : “L’architecte, M. Vincent, a si habilement tiré parti du terrain, que toute petite que paraît cette salle, elle peut contenir quinze-cents personnes,” note un almanach des spectacles (Almanach 227). La scène présente quatre-vingt-neuf pieds de profondeur (trente mètres). Le plan de la salle est demi-circulaire. Le périodique Le Miroir des spectacles remarque ainsi que “tous les rayons visuels viennent à peu près au point de perspective” (16 avril 1821). D’après la description faite par la presse au moment de l’inauguration du théâtre, la salle accueille une galerie au-dessus du parquet, puis deux rangs de loges en arrière de la galerie. Au-dessus apparaissent une seconde galerie et les troisièmes loges. Surtout, de vastes amphithéâtres sont pratiqués en arrière des galeries dans les deux derniers étages, disposition propre au Panorama-Dramatique. Une des innovations les plus remarquées selon la presse réside dans la disposition des loges : celles situées face à la scène sont normalement séparées des autres par des cloisons entières. En revanche, les loges de côté n’ont des cloisons que jusqu’à hauteur d’appui, de manière à supprimer tout angle mort pour le regard des spectateurs. Les loges sont ainsi conçues en fonction d’un critère de visibilité et non en fonction du confort intérieur et de l’intimité préservée : c’est un “avantage pour les personnes qui veulent voir le spectacle,” mais ce n’est “peut-être pas aussi commode pour celles qui y viennent causer” (La Minerve littéraire 523). Le Journal des théâtres du 16 avril 1821 note ironiquement : “l’on doit être bien à toutes les places, excepté à celle où l’on met les journalistes : mais ces gens-là sont tellement accoutumés à parler des choses sans les voir, que l’on ne fait pas mal de les entretenir dans cette drôle d’incertitude.”

Deux autres innovations remarquables confèrent au nouveau théâtre sa singularité. Il n’y a pas, au moment de l’inauguration, de loges d’avant-scène. La scène est encadrée d’une large gorge, dorée comme celle d’un tableau, mais sans décoration. Les spectateurs sont placés face à un cadre qui doit accueillir un tableau, la scène étant traitée par le peintre Alaux sur un mode pictural. Les loges d’avant-scène pourraient en effet concurrencer le spectacle en offrant un tableau mondain propre à détourner l’attention que le cadre de scène doit au contraire orienter vers le seul spectacle théâtral (Frantz 54). Cette lutte contre la dispersion du regard et contre la diversion de l’attention fondait déjà le dispositif panoramique : dès 1800, un témoin remarquait : “C’est donc en ôtant à l’œil tous les termes de comparaison que l’on parvient à le tromper au point de le faire hésiter entre la nature et l’art” (Thompson 51).16 Toutefois, la presse voit dans ce cadre scénique un aveu prématuré d’échec et une trahison du nom même du théâtre :

Il n’y a point d’avant-scène. La décoration fixe du théâtre représente un vaste cadre que l’on voudrait un peu plus riche. C’est une manière très ingénieuse de dire au spectateur : ce que vous allez voir sont des tableaux : mais je ne sais si cette idée est aussi exacte que spirituellement exprimée. Les tableaux doivent représenter la nature animée : mais se servir de la nature animée pour représenter des tableaux, me semble être une sorte de rétrogradation de l’art. D’ailleurs, le titre du Panorama-Dramatique est en contradiction avec cette innovation : car ce qui constitue la peinture panoramique, c’est précisément de n’être point encadrée. (La Minerve littéraire 524)

Cet encadrement de la scène rompt en effet avec le dispositif panoramique, caractérisée par la centralité du sujet regardant et la circularité de la toile, l’ensemble prétendant à une totalisation, gage de l’illusion parfaite. L’absence de cadre supprime la conscience, chez le spectateur, d’assister à une représentation : “les tableaux quelque grands qu’ils soient, sont ordinairement renfermés dans un cadre qui dès l’abord avertit qu’ils sont un ouvrage de l’Art […]” (Thompson 51). Certes, en refusant le décadrage, le Panorama-Dramatique revient du côté de la théâtralité pleinement assumée, reconnue comme telle, et se situe en deçà de l’illusion procurée par les panoramas contemporains. Toutefois, il accomplit à sa manière les projets de réforme théâtrale du XVIIIe siècle, de Diderot, Mercier ou Ledoux : éloignement et même rejet des spectateurs hors de la scène, suppression des loges d’avant-scène, hétérogénéité des éléments décoratifs de la scène et de la salle, fermeté du cadrage. Cette esthétique du tableau, fondée sur le découpage opéré par le cadre, repose sur un paradoxe commenté par Pierre Frantz : “Le tableau révèle et organise une conception nouvelle de l’illusion, fondée sur un paradoxe : il exclut le spectateur du spectacle, aussi fortement qu’il est possible : mais c’est pour le toucher au cœur, l’émouvoir violemment, aimanter son imagination si puissamment qu’elle envahisse le spectacle” (5). Au Panorama-Dramatique, faux ou anti-panorama, le cadre redevient la condition première de l’émotion. L’ambiguïté essentielle de ce théâtre, pris entre illusion panoramique et adhérence mélodramatique, éclate néanmoins.

La seconde nouveauté, plus saisissante encore pour les premiers spectateurs, est le rideau de scène, baissé pendant les entractes. Il s’agit d’un châssis couvert de vingt-cinq glaces, formant un vaste miroir de vingt-quatre pieds de large et vingt de hauteur (huit mètres sur six mètres et demi), où se réfléchit toute la salle. Le regard des spectateurs est ainsi invité, dans les entractes, à embrasser tout le demi-cercle des galeries et des loges. Le spectacle des parures et des toilettes est redoublé par l’image en miroir : “ce qui a fait fureur, c’est […] l’apparition inattendue d’un rideau de glace, qui a réfléchi les traits de quelques jolies femmes et l’élégante parure du plus grand nombre” écrit Le Miroir des spectacles le 16 avril 1821. Le Prologue donné pour l’inauguration s’achevait sur la mise en branle spectaculaire du rideau de glace, lorsque le diable donnait un coup de baguette magique et faisait descendre, à la fin de l’acte unique, le rideau de miroirs réfléchissant le public. Monsieur Boulevard chantait alors, ravi de cette vision panoptique de la salle : “Ici, je le confesse / Je vois de tout côté / Les grâces, la jeunesse, / La gloire, la beauté !” Le couplet final d’adresse au public s’achève sur ces mots, faisant du narcissisme la plus puissante force d’attraction pour les spectateurs : “Mesdames, quand cette glace, / Au public galant, retrace / Les objets de ses amours, / De nos succès c’est le gage : / En lui montrant votre image / On doit l’attirer toujours.” Le cadre scénique peut enfin se moduler : on peut réduire la scène à l’étendue des neuf glaces du milieu du rideau de miroirs : l’œil du spectateur voit le spectacle au sein du cadre de glaces et peut se voir voyant. La communauté scellée par l’orientation des regards dirigés vers un même point se trouve dès lors réfléchie, révélée, dédoublée. “Quelques bons Parisiens ont été formalisés de se voir ainsi mis en scène, sans s’y être attendus” note néanmoins un almanach des spectacles (Almanach K.Y.Z. 131-132).

La scène : le décor panoramique

Le prospectus lancé en 1821 pour attirer les actionnaires parle d’un “théâtre, où l’on représentera des actions dramatiques pantomimes et dialoguées, auxquelles on adoptera des vues, tableaux et décorations d’un genre entièrement neuf, et tendant au perfectionnement de l’illusion de la scène.” De son côté, Alaux est présenté dans la presse comme un “excellent décorateur et mécanicien habile” (La Minerve littéraire 523). L’innovation scénique principale réside dans la forme arrondie de la plantation des décors : l’appellation Panorama-Dramatique provient de la volonté d’Alaux et de Taylor de renouveler la disposition traditionnelle des décors de théâtre en utilisant des toiles peintes recouvrant un mur concave, au-delà des fermes et des châssis des premiers plans. Ces toiles peintes de grande superficie et formant un panorama donnaient l’illusion aux spectateurs de découvrir un paysage à vol d’oiseau. En outre, l’hémicycle formé par le mur concave “recevait la lumière de foyers établis dans les frises” : le long de l’hémicycle, les toiles “appliquées sur des châssis de dimensions et de formes diverses simulaient des plis de terrain, des rochers ou des buissons, derrière lesquels des baies pratiquées çà et là dans le mur du fond s’ouvraient pour donner passage aux acteurs” (François). Ce sont surtout les éclairages qui sont jugés “admirables, mais indescriptibles,” par la presse (La Minerve littéraire 525). Le Journal des théâtres du 16 avril 1821 rapproche les moyens employés par le nouveau théâtre de ceux de Daguerre à l’Opéra avec Aladin, ou la Lampe merveilleuse, ou au Diorama : verres de couleur, gazes peintes, jeux d’opacité et de transparence sur la toile, multiplicité des sources lumineuses. L’effet visuel produit était saisissant, notamment dans Ismayl et Maryam, donné pour l’inauguration du théâtre. La pièce est fondée sur un tableau d’Horace Vernet, “Ismayl et Maryam,” exposé peu avant, au salon de 1819 (Gabet 685). Le sujet est choisi en fonction de ses possibilités d’offrir une série de tableaux dramatiques : Taylor aborde ses œuvres théâtrales en peintre et en décorateur, s’adressant en priorité à l’œil du spectateur à travers un théâtre pictural. La première décoration présente Jérusalem vue de dessus la terrasse d’une maison élevée : selon la presse, il s’agit d’une copie du panorama de Jérusalem par Pierre Prévost. Le Miroir des spectacles note que le fond du théâtre a été abaissé d’environ six pieds, ce qui ajoute à l’effet de perspective :17 cela confirme l’astucieuse mise à profit des irrégularités du terrain, évoquée par les autorités. Le deuxième acte montre un désert brûlant, balayé par le simoun. Le troisième acte représente une oasis habitée par une tribu arabe. Les effets du simoun donnent lieu à un “tableau mécanique dans lequel on a intercalé celui de Monsieur Horace Vernet,” selon le rapport de censure. On assiste alors à la mort de Maryam, tandis qu’Ismayl se laisse enfouir par le vent de sable. La presse parle de “vérité effrayante” pour ce tableau du Simoun : celui-ci apparaît “au-dessus de tout ce qu’on a vu dans ce genre sur d’autres théâtres” (La Minerve littéraire 526-527). L’Indicateur général des spectacles écrit : “De superbes décorations, d’un genre absolument neuf, représentant une belle vue de Jérusalem et les déserts de l’Arabie, ont réuni tous les suffrages, excité la curiosité publique. Tout Paris a voulu les voir, et cette pièce n’a point cessé d’attirer, depuis plusieurs mois, une affluence considérable au nouveau théâtre” (Duverger 1821-1822).

Malgré le succès d’Ismayl et Maryam, puis du Temple de la mort, ou Ogier le Danois de Cuvelier,18 ou du Courrier de Naples de Boirie, d’Aubigny et Pujol, le dispositif théâtral d’Alaux est remis en question avant même la fermeture définitive du théâtre. La presse se plaint de la mauvaise visibilité, en particulier depuis les places de côté : un Almanach des spectacles parle d’ “une petite salle mal coupée, où l’on ne voit que de face” : la Gazette de France déclare qu’ “excepté quatre ou cinq loges de face, on ne voyait nulle part” – un comble pour un “Panorama” (Almanach K.Y.Z. 131-132 : “Beaux-Arts” 2 septembre 1822).

Sous la direction de Langlois, les innovations introduites par Alaux sont supprimées pour l’essentiel. En douze jours de clôture, en août 1822, la salle s’est agrandie grâce à quatre mètres pris sur la profondeur du théâtre. L’orchestre a été surélevé d’un demi-pied pour pouvoir accueillir plus de musiciens. Surtout, le cadre d’avant-scène, qui assimilait la scène à un tableau, a été remplacé par un soubassement supportant trois rangs de loges. Enfin, le rideau de glace, dont la manœuvre avait fini par lasser le public, est démonté. Plus rien ne distingue alors le Panorama-Dramatique des théâtres voisins et immédiatement rivaux, la Gaîté et l’Ambigu-Comique. Plus grave, les transformations détruisent l’harmonie de l’ensemble au point de susciter l’interrogation étonnée de la presse, s’en prenant directement aux architectes :

Nous leur demanderons, par exemple, ce qu’ils pensent eux-mêmes de ce prétentieux et si riche ajustement d’avant-scène du rez-de-chaussée. Pourquoi une arcade coupée au tiers par la saillie du théâtre ? Est-ce pour soutenir ces pilastres deux tiers plus larges que le diamètre des colonnes qu’ils répètent ? Pourquoi, dans les caissons du grand arc, ces chevaliers qui menacent de vous écraser dans leur chute au lieu de ces figures légères qui ornent le plafond ? Pourquoi ce plafond est-il resté circulaire, quand la forme de la salle est changée ? Pourquoi les angles que laisse ce plafond circulaire, sont-ils d’un ton qui n’est rappelé nulle part dans la salle ? Pourquoi ?… Pourquoi ?… (Gazette de France “Beaux-Arts” 2 septembre 1822)

Avant même la faillite de Langlois, ce théâtre expérimental a échoué, victime certes des restrictions de son privilège et des exigences exorbitantes des propriétaires du terrain, mais surtout des contradictions insurmontables de son projet initial.

Double mort d’un projet théâtral et panoramique

Les contradictions inhérentes au projet d’Alaux et Taylor sont contenues dans le nom même du théâtre, le Panorama-Dramatique. Certes, le nom, habilement choisi, était destiné à obtenir plus aisément des autorités un privilège grâce à l’effacement du mot “théâtre” : le Gymnase-Dramatique, sous la Restauration, a procédé de la même façon, en se faisant passer pour un théâtre-école. Toutefois, l’ambition “panoramique” était bien présente dans le projet initial. D’une part, il s’agissait de développer pour le regard des spectateurs les inventions de Prévost et surtout de Daguerre, ses jeux d’éclairage de chaque côté de la toile peinte et sa plantation hémisphérique de la décoration, offrant une vision panoramique des paysages et des villes représentés. Or, la technique n’est pas propre au Panorama-Dramatique : il ne peut retenir son public par le seul prestige de ses vues alors que se développent et prospèrent à côté des panoramas autrement spectaculaires et véritablement “panoramiques” – à cent-quatre-vingts degrés. Le “diaphanorama” ou l’ ”Alporama en relief et perspectif,”19 et surtout le Diorama de Daguerre et Charles-Marie Bouton situé rue Sanson, dans le prolongement du boulevard du Temple, concurrencent dangereusement ce spectacle. D’autre part, le genre envisagé par Alaux s’avère incertain, bâtard ou insaisissable, puisqu’il prétend mêler la vision panoramique, où le seul mouvement est celui des éléments naturels créé par le jeu de lumières, et l’action dramatique guidée par le déplacement, la pantomime et le dialogue des personnages inclus dans le cadre. Alaux veut animer le panorama en y introduisant l’action humaine. Le spectacle devait donc initialement se situer entre le pur spectacle d’images des panoramas et le spectacle total du mélodrame, où le faste visuel est un élément parmi d’autres, aux côtés de la pantomime, de la musique, de la danse et de la déclamation. Au vu du répertoire du Panorama-Dramatique, il semble que jamais n’a été pleinement réalisé sur la scène le spectacle mécanique imaginé originellement : des tableaux animés par le jeu d’éclairages et par des figures automates dans les plans plus éloignés, commentés à l’avant-scène par deux acteurs placés hors-cadre, avec accompagnement musical. Alaux a contourné très vite les restrictions du privilège : certes, il ne mettait en scène à la fois que deux personnages parlants, mais cela n’empêchait pas de faire dialoguer, successivement, tous les personnages de la pièce ! Dès lors que des acteurs sont intégrés à l’action dramatique à côté des comédiens s’exprimant par la pantomime, en lieu et place des automates, on quitte le théâtre mécanique et pittoresque pour le théâtre mélodramatique. Le Panorama-Dramatique, coincé entre les panoramas et la Gaîté, n’a pas su réaliser et imposer le spectacle original et unique – du reste déjà pratiqué par M. Pierre – susceptible de faire réussir l’entreprise. Reste un lieu expérimental qui manifeste le désir de quitter le spectacle de la parole proférée, logocentrique, pour retrouver les origines du theatron, ce lieu où l’on voit, où s’affirme le sujet regardant et regardé. Le Panorama-Dramatique permet, dans son inaboutissement même, de mieux saisir cet attachement au visible et au sensible propre au nouvel hédonisme bourgeois.

Que resta-t-il de l’éphémère Panorama-Dramatique après 1823 ? La petite équipe de décorateurs, régisseurs, techniciens se dispersa pour développer des innovations techniques et esthétiques sur d’autres scènes, à la Comédie-Française pour Taylor, à l’Opéra pour Cicéri et Solomé. Le drame romantique doit beaucoup au premier, le grand opéra aux seconds. Mais le Panorama-Dramatique ne sombra pas entièrement dans l’oubli : Balzac se chargea de lui assurer une survie littéraire dans Illusions perdues (t.V).20 Se souvenant de ses expériences de spectateur et d’apprenti-dramaturge sous la Restauration, Balzac invite le lecteur d’ “Un grand homme de province à Paris” à découvrir la salle et les coulisses du Panorama-Dramatique, en pleine représentation deBertram, ou le Château de Saint-Aldobrand de Taylor et Nodier. L’essentiel de la description concerne moins le spectacle lui-même, la scène ou la salle, que l’arrière-monde des coulisses découvert par Lucien de Rubempré conduit par Lousteau :

L’étroitesse des portants, la hauteur du théâtre, les échelles à quinquets, les décorations si horribles vues de près, les acteurs plâtrés, leurs costumes si bizarres et faits d’étoffes si grossières, les garçons à veste huileuses, les cordes qui pendent, le régisseur qui se promène son chapeau sur la tête, les comparses assises, les toiles de fond suspendues, les pompiers, cet ensemble de choses bouffonnes, tristes, sales, affreuses, éclatantes ressemblait si peu à ce que Lucien avait vu de sa place au théâtre que son étonnement fut sans bornes.21 (Balzac 391)

L’entreprise balzacienne de démystification dénonce l’illusion d’optique et brise le miroir : elle révèle les machines et les rouages à l’œuvre dans l’obscurité glauque des coulisses. Le passage de la salle aux bas-fonds du théâtre se fait métaphore de l’écriture romanesque, dépassant la surface brillante des apparences sociales pour fouiller la réalité dans son essence. Au dispositif semi-panoramique inventé par le théâtre d’Alaux, répond l’ambition totalisatrice du roman balzacien, préférant à l’effleurement des surfaces par le regard circulaire la plongée dans les profondeurs. Dans Illusions perdues, la référence au Panorama-Dramatique, lue selon cette perspective métapoétique, dit cette inversion d’une appréhension frontale du monde par l’œil du spectateur en une pénétration brutale de la vie sociale par la vision démiurgique du romancier (Michelot 352).22 Tout voir, mondes et arrières-mondes, consiste à abolir ces enchantements de l’illusion visuelle dont se repaît l’homme mondain, à désenchanter le théâtre du monde par la dénonciation de sa théâtralité même. La vue panoramique est devenue avec Balzac vision des profondeurs. Aussi la seconde vie donnée au Panorama-Dramatique par le texte d’Illusions perdues est-elle en réalité, par la dénonciation de l’illusionnisme mécaniste, une seconde mort.


Notes

1. Pour le répertoire complet du Panorama-Dramatique, on se reportera à l’ouvrage de Louis-Henry Lecomte, Histoire des Théâtres de Paris. 1402-1904, V, VII, “Le Théâtre du Panorama-Dramatique,” Genève, Slatkine reprints, 1973 [Paris, H. Daragon, 1905], p. 69-153.

2. Alaux jeune, son frère, était peintre d’histoire, élève de François-André Vincent. Il obtint le premier grand prix de peinture au concours de l’Académie des Beaux-Arts en 1815. D’après le Dictionnaire des artistes de l’école française au XIXe siècle de Ch. Gabet, Paris, Vergne, 1831.

3. Voir l’ouvrage de Juan Plazaola, Le baron Taylor, portrait d’un homme d’avenir, Paris, Fondation Taylor, 1989. Les pièces auxquelles Taylor a collaboré pour le Panorama-Dramatique sont : Ismayl et Maryam, ou l’Arabe et la Chrétienne (Paris, Quoy, 1821), Le Délateur (Paris, Barba, 1821),Bertram, ou le Pirate (avec Nodier, Paris, Quoy, 1822) : Ali-Pacha (Paris, J. Esneaux, 1822). D’après J. Plazaola, Taylor aurait dessiné les plans du Panorama-Dramatique.

4. Bertram ou le Pirate, mélodrame en trois actes, “par M. Raimond,” Paris, Quoy, 1822. La traduction libre de la tragédie de Maturin par Taylor et Nodier (aidés de Taylor père) est parue l’année précédente  : Bertram ou le Château de Saint-Aldobrand, tragédie en cinq actes, Paris Gide fils et Ladvocat, 1821. Voir l’édition critique par M. A. Ruff, précédée d’une préface “Maturin et les romantiques français” : Paris, José Corti, 1955.

5. Conseil d’Etat, extrait du registre des Délibérations du Comité, séance du 16 mars 1821. Dossier consacré à l’administration du Panorama-Dramatique, conservé aux Archives nationales (F21 1155A). Les lettres citées ci-après proviennent de ce dossier.

6. Ce “Théâtre pittoresque” s’élevait rue Neuve-de-la-Fontaine. Voir Paris et ses curiosités, Paris, Marchand, 1804, t. I, p. 185. La veuve Pierre poursuivit l’œuvre de son époux : selon l’Indicateur général des spectacles de Paris(Paris, 1819), le “spectacle pittoresque de feu M. Pierre” représente des “tableaux en miniature et animés de plusieurs points de vue pittoresques, tels que le lever ou le coucher du soleil, une tempête, etc.” Ce théâtre se situe alors “au carrefour Gaillon, rue et galerie Montesquieu.”

7. “[…] le père de Mad. Alaux, magistrat respectable, et mon ami particulier m’a recommandé en mourant d’avoir soin des intérêts de sa fille,” écrit La Rochefoucauld le 6 février 1821, au moment des difficultés financières d’Alaux. La lettre est adressée à “Monsieur le Baron” (Papillon de La Ferté ?).

8. “[…] il serait convenable que M. le préfet de police n’autorisât jamais un premier établissement de ce genre et surtout la construction d’un théâtre, autrement que sur lecture [ ?] de l’ordonnance du Roi.” Conseil d’Etat, extrait du registre des Délibérations du Comité, séance du 16 mars 1821.

9. Cette pièce fut jouée quatre-vingt-quatre fois entre le 23 avril 1821 et le 3 avril 1822, selon l’Indicateur général des spectacles de Paris (Paris, 1822-1823). Le Prologue d’ouverture fut donné quatre-vingt-six fois dans la même période.

10. Est-il parent avec Jean-Charles Langlois qui ouvrit une rotonde rue des Marais-du-Temple en 1831 puis le Panorama des Champs-Elysées, en 1839 ?

11. Selon l’Indicateur général des spectacles de Paris (1822-1823), Langlois est directeur, Taylor directeur adjoint, Solomé régisseur en chef, Auguste Véron régisseur en chef adjoint.

12. Ces ballets sont : Le Déserteur, Annette et Lubin, La Fille mal gardée, de Dauberval, et Jenny ou le Mariage secret d’Aumer.

13. Exposé sur la situation du Panorama-Dramatique envoyé au chef de division du ministère de l’Intérieur, de Lourdoueix, sans date (juin 1823 ?).

14. Plusieurs lettres-pétitions signées de tous les acteurs du Panorama-Dramatique sont envoyées au ministre de l’Intérieur à la fin de juillet 1823.

15. “Le temps des spectacles purement oculaires est arrivé,” écrit Gautier dans son compte rendu de Murat au Cirque-Olympique, en novembre 1841. Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, Paris, Hetzel, 1859, t. II, p. 175.

16. Rapport du citoyen Dufourny auprès de l’Institut National sur le panorama, fait le 15 septembre 1800.

17. “Ce perfectionnement est un pas que M. Allaux [sic] a fait faire à l’art qu’exploitent avec tant de succès les Cicéri et les Daguerre.” Miroir des spectacles, 16 avril 1821.

18. A propos de cette pièce, l’Indicateur général des spectacles de Paris de 1822-1823 note : “Ce qu’on appelle mélodrame ailleurs, ne prend souvent, sur l’affiche du Panorama, que le nom vague de pièce à spectacles [sic]” (op. cit., p. 228). L’argument publicitaire de ce théâtre est bien le spectacle visuel. LeJournal des théâtres affirme d’ailleurs, à propos de cette même pièce : “c’est à qui pénétrera dans le Temple de la Mort pour éprouver les émotions que produit son effrayante beauté” (26 septembre 1821).

19. Le premier, au Palais-Royal, montre en juin 1821 des “vues et costumes transparents de la Suisse” (d’après Le Miroir des spectacles). Le second se situe galerie des Bons-Enfants, également au Palais-Royal (d’après l’Indicateur général des spectacles de Paris, 1819). Le diaphanorama, inventé par Franz Niklaus König, utilise des papiers huilés et grattés pour créer des effets de transparence ou d’opacité dans la diffusion de la lumière. Voir B. Comment, Le XIXe siècle des panoramas, op. cit., p. 33.

20. Je me permets de renvoyer ici à mon article “L’envers de La Comédie humaine : mythes balzaciens du Boulevard,” Lieux littéraires / La Revue, “Théâtres virtuels,” université Paul-Valéry de Montpellier, n° 4, décembre 2001, p. 21-43. Autre lien entre l’œuvre balzacienne et la vie du Panorama-Dramatique  : sur cette scène joua un acteur comique nommé Vautrin, engagé ensuite au Cirque-Olympique puis à l’Ambigu-Comique.

21. Illusions perdues, 391. Rappelons aussi, dans une veine drolatique, le fameux dialogue en rama des pensionnaires de Maman Vauquer jouant sur la mode des panoramas et autres dioramas, dans Le Père Goriot (La Comédie humaine, édition citée, t. III, p. 91-93).

22. “[…] le Livre-Spectacle balzacien entièrement tourné vers le décryptage du monde s’attache à conférer au lecteur-spectateur les moyens d’une lecture en profondeur de celui-ci.”


Résumé

Le petit théâtre du Panorama-Dramatique, sur le boulevard du Temple du Crime à Paris, est une scène éphémère dont la vie ne s’étendit pas au-delà de deux années, de 1821 à 1823. Le nom de ce théâtre sans lendemain n’est passé à la postérité que grâce à Balzac, qui situe une scène d’Illusions perdues dans cette salle de spectacle spécialisée dans le mélodrame. Pourtant, les artistes qui travaillèrent au Panorama-Dramatique comptent parmi les promoteurs de la révolution romantique de la scène  : Charles Nodier, le baron Taylor (bientôt à la tête de la Comédie-Française où il attirera les Romantiques), le célèbre décorateur Cicéri, sans oublier Daguerre, l’inventeur du Diorama et de la photographie. Tous ont tenté de faire du Panorama-Dramatique un théâtre d’expérimentation, inventant un nouveau mode de plantation du décor, de nouveaux effets de lumière, de nouvelles conditions spectaculaires afin de refonder l’illusion optique et le plaisir oculaire des spectateurs.

Mots Clés: Théâtre – Panorama – Mélodrame – Restauration – Décor


Ouvrages Cités

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