L’Office of War Information et This Land is Mine de Jean Renoir

Frédéric Levéziel
University of South Florida

Aude Jehan
University of Alberta

Summary

En juin 1942, l’administration Roosevelt crée l’Office of War Information afin d’instrumentaliser la culture de masse hollywoodienne à des fins de propagande. Dans cet article, nous nous proposons d’aborder le deuxième long métrage tourné outre-Atlantique du cinéaste Jean Renoir, This Land Is Mine, comme un exemple de cette interaction entre le gouvernement fédéral et les grands studios. À travers un travail de contextualisation historique de cette production cinématographique dans le cadre de la propagande américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, cette étude se donne pour objectif d’examiner les tenants et les aboutissants du rapport déclassifié sur This Land Is Mine de l’Office of War Information. À ce titre, cette exégèse constitue une contribution non négligeable à la fois à la critique renoirienne et au septième art considéré en tant que vecteur d’endoctrinement.

Keywords: Jean Renoir, This Land is Mine, propagande, Office of War Information, Bureau of Motion Pictures, Hollywood, Seconde guerre mondiale

 

C’est en avril 1954, dans un entretien des Cahiers du cinéma accordé aux “Jeunes Turcs” de la Nouvelle Vague,[1] Jacques Rivette et François Truffaut, que Jean Renoir décrit de la manière suivante la finalité de This Land Is Mine (1943): “(J)e l’ai fait uniquement pour l’Amérique, pour suggérer aux Américains que la vie quotidienne dans un pays occupé, n’était pas aussi facile que certains pouvaient le penser, …ce film était un peu de propagande” (13). À partir de cet aveu, qui nous offre une piste de recherche jusque-là plutôt ignorée par la critique renoirienne, cette étude se fixe pour but de contempler This Land Is Mine en qualité d’exemple de l’instrumentalisation de la culture de masse hollywoodienne par l’administration Roosevelt à des fins de propagande. Pour ce faire, il convient de revenir sur les circonstances singulières entourant sa production. C’est ainsi que nous articulerons notre exposé autour de deux axes principaux, en retraçant le contexte de propagande de guerre dans lequel This Land Is Mine a vu le jour en 1942, puis en se penchant sur le contenu du dossier déclassifié du Bureau of Motion Pictures de l’Office of War Information, actuellement archivé aux National Archives at College Park.[2]

Défini de nos jours par l’Académie française comme “l’ensemble des actions et des moyens mis en œuvre pour répandre et faire prévaloir une idée, une opinion, une doctrine,” le terme de “propagande,” dans son acception moderne, a une double origine, avant toute chose religieuse, puis politique. Celui-ci apparaît en 1622, avec la création de la Sacra Congregatio de Propaganda Fide par le pape Grégoire XV, afin de mobiliser l’opinion et endiguer la Réforme. Ce néologisme, qui se veut une déclinaison adjectivée du verbe propagare, c’est-à-dire “propager, répandre, comme un liquide,” fait directement référence aux actes de l’Église catholique à des fins de propagation de la foi, entrepris dès le XVIe siècle pour contrer l’influence luthérienne. Au XVIIe siècle, cependant, la signification évolue parallèlement à la mission exponentielle de la Congregatio, dès lors en charge de l’évangélisation catholique outre-mer, en incluant une volonté de diffusion à portée universelle. Son acception politique remonte à la Révolution française et la contestation du primat de l’Église. C’est à cette époque que les Girondins se réapproprient la notion afin de disséminer les idées révolutionnaires. Sécularisé, le nom commun commence à s’employer dans la langue française courante, et acquiert son sens actuel. En 1792, dans une “Lettre à de Pange,” Condorcet, l’incarnation du siècle des lumières, décrit la propagande en ces termes: “action organisée en vue de répandre une opinion ou une doctrine (surtout politique)” (Quemada 1323). Cette nouvelle occurrence se manifeste officiellement dans le Dictionnaire de l’Académie française en 1798 et son usage se généralise au XIXe siècle. Pourtant, ce n’est qu’au XXe siècle que le vocable revêt la connotation négative que nous lui connaissons aujourd’hui. Préalablement utilisée afin de promouvoir la colonisation, puis s’imposant dans les années 1930 avec la montée du péril fasciste en Europe, la propagande n’est désormais plus appréciée que pour sa forme intrinsèque.

C’est dans ce cadre de propagande politique que Renoir réalise quelques-uns de ses premiers opus. Tout d’abord, en 1929, Le Bled, commandité par le gouvernement général d’Alger pour commémorer le centenaire de l’Algérie française, qui propose une version idyllique de cette colonie de peuplement, s’avère une “œuvre d’utile propagande coloniale” (Ferro 245). En 1936, dans La Vie est à nous, Renoir participe activement à la communication du parti communiste en vue d’assurer la victoire de la gauche aux élections législatives. En 1937, dans La Grande Illusion, le cinéaste prononce un plaidoyer passionné pour la paix à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, à travers “ une synthèse de sa pensée sur le Première Guerre mondiale, avec un pacifisme hérité de son expérience d’ancien combattant” (Launey 79). En 1938, dans La Marseillaise, l’artiste écrit l’Histoire (avec un grand H) au présent en traduisant en images l’avènement au pouvoir du Front Populaire à travers une fresque diachronique sur la Révolution. Enfin de septembre 1939 à mai 1940, c’est la propagande dans le domaine militaire qui motive le lieutenant de réserve Renoir, “mobilisé au service cinématographique de l’armée où il sert son pays en filmant, entre autres, la vie quotidienne des soldats dans la zone des armées” (Launey 79). Dans un entretien avec Doringe, de l’hebdomadaire Pour vous du 18 octobre 1939, Renoir se confie à ce sujet:

[Nulle forme de] propagande ne peut dépasser la propagande cinématographique […]. En temps de paix, notre mission à nous, metteurs en scène, est d’instruire ou de distraire; en temps de guerre, nous devenons auxiliaires de l’information. […] Il ne suffit pas de vaincre les hommes, il faut vaincre les idées. (5)

En effet, les enjeux de la Seconde Guerre mondiale sont militaires mais aussi idéologiques. Pour mobiliser leurs populations, les belligérants se dotent graduellement d’organes d’endoctrinement pour s’engager corps et âme dans une guerre psychologique sans merci. Dès leur intronisation, les forces de l’Axe détournent les récents acquis de la psychologie et de la psychanalyse à des fins de persuasion de masse, en consacrant des ressources considérables à des campagnes de désinformation redoutablement efficaces. Sous l’influence nazie,

la propagande devient une véritable artillerie psychologique où l’idée même ne compte plus, pourvu que les mots portent. Tout ce qui a une valeur de choc est employé; on jette n’importe quelle nouvelle, fût-ce la plus invraisemblable. (Domenach 28)

À partir de 1933, le tristement célèbre ministre de la Propagande du IIIe Reich, Joseph Goebbels, mobilise presse, radio et cinéma pour orchestrer un spectaculaire lavage de cerveau collectif du Volk allemand. Dans l’Italie du Duce, Benito Mussolini, tous les médias se dévouent à promouvoir l’idéologie fasciste tandis qu’au Japon, au cours de la seconde guerre sino-japonaise, s’institue une propagande qui se distingue par son ultra-nationalisme à outrance. Devenue l’arme par excellence du totalitarisme, la propagande s’impose comme un outil politique indispensable pour la plupart des gouvernements autocratiques ou non.

En revanche, parmi les forces alliées, les États-Unis s’avèrent hésitants, pour ne pas dire réticents. Le Président Roosevelt, réélu en novembre 1940, est conscient qu’il doit rapidement convaincre son peuple de la nécessité de s’investir dans la lutte dans un futur proche. Malgré tout, il continue à privilégier une approche informative qu’il juge plus conforme aux valeurs démocratiques plutôt que de se résoudre à avoir recours à toutes sortes de manipulations de l’information. À titre d’exemple, au début des années 1930, Franklin Delano Roosevelt poursuit un semblant de coopération culturelle avec l’Amérique latine. Même face “à l’influence grandissante des propagandes fascistes et nazies clairement anti-américaines, en Argentine, au Brésil ou au Chili où nombre d’immigrants italiens et allemands sont sympathisants de ces régimes” (Quessard 48), la Good Neighbors Policy, qui prétend substituer l’interventionnisme militaire à des initiatives aux desseins plus diplomatiques, se maintient. D’autre part, sur le territoire national, durant son allocution annuelle sur l’état de l’Union du 6 janvier 1941, Roosevelt plaide pour une vision optimiste de l’avenir, un concept moral et unificateur articulé autour des idéaux états-uniens, le “Four Freedoms Speech.” Ce contrat social d’inspiration quasi-rousseauiste est présenté comme un compendium des piliers fondamentaux de la démocratie universelle. La liberté d’expression, de religion, de vivre à l’abri du besoin et de vivre en sécurité s’inscrivent dans la lignée des politiques keynésiennes et progressistes du New Deal. Identiquement, de 1933 à 1944, tirant profit de l’âge d’or de la radio, le support de communication de masse dominant de son époque, FDR se construit une présence médiatique à travers une propagande, qui prétend s’attacher à l’examen de la réalité, sous une apparence calme, rassurante et dialogique. Lors de ses célèbres causeries au coin du feu à la Maison-Blanche, les Fireside Chats, il prêche la bonne parole à ses compatriotes pour légitimer son exercice du pouvoir, en mettant en scène des pseudos tête-à-tête dans l’intimité de leur foyer.

En fait, la circonspection de Roosevelt à cet égard s’explique principalement par les craintes de l’opinion publique face à la propagande, notamment à la suite de l’échec retentissant du Creel Committee, mis en place à la fin de la Première Guerre mondiale. En 1916, le Président Wilson se trouve alors dans une fâcheuse conjoncture, réélu sur une promesse de neutralité, Woodrow Wilson se voit contraint de persuader ses concitoyens, majoritairement isolationnistes, de basculer dans le conflit armé. À cet effet, Wilson inaugure en 1917 une agence fédérale de propagande, sans précédent dans l’histoire américaine, nommée Committee on Public Information ou Creel Committee du nom du journaliste George Creel. Cette commission, qui censure directement la presse ou la pousse à l’autocensure, édicte des lois restrictives sur la liberté d’expression et surtout promeut un portrait de l’ennemi la plupart du temps fallacieux et cousu de fil blanc, qui pêche le plus souvent par excès, en jouant davantage sur le pathos que sur le logos. Une fois la paix retrouvée, cette expérimentation délétère perd toute crédibilité. Au cours de l’entre-deux-guerres, l’existence d’un tel matraquage idéologique, inhérent aux régimes totalitaires, paraît totalement inconciliable avec les valeurs égalitaires prônées outre-Atlantique.

En ce qui concerne les motivations propagandistes de Renoir au moment de réaliser This Land Is Mine, il convient de revenir un instant sur son parcours personnel et les circonstances professionnelles qui l’entourent. En 1942, Renoir a 48 ans, et il est exilé aux États-Unis depuis le 31 décembre 1940. Après avoir donné au fil des ans des explications plus ou moins convaincantes au sujet de son départ, il explique plus en détail ses raisons dans une lettre datée de 1946 adressée à Mme Louise Chevalier-Munier:

J’ai craint d’être posé brusquement devant un dilemme: être un traître ou être un héros et, ignorant si j’aurais eu le courage d’être le second, j’ai pensé qu’il valait mieux accepter l’offre du gouvernement américain qui mettait un passeport à ma disposition. (179)

Cette ambivalence toute prosaïque qu’elle soit, trancher entre la lâcheté ou l’héroïsme, se révéla cruciale, à bien des égards, pour Renoir et pour tous ses compatriotes pendant l’occupation. Effectivement, de juin 1940, date de sa démobilisation, à décembre, date de son embarquement pour le nouveau monde, ce paradoxe reflète pleinement l’état d’esprit non seulement de Renoir mais aussi de la majorité de la population française aux prémices des années sombres, qui trouve refuge dans l’attentisme et la passivité à la suite de l’humiliation de la défaite de mai 1940 et le déshonneur de l’armistice du 22 juin.

Néanmoins, à peine débarqué du Siboney, le paquebot saturé de réfugiés à bord duquel Renoir accomplit l’ardue traversée de l’Atlantique, une série d’actions du metteur en scène exemplifie une détermination renouvelée. Après avoir écouté le discours de Roosevelt du 6 janvier 1941, l’artiste conseille à son fils unique de s’engager, mais pas pour la France comme on aurait pu l’escompter. En effet, lorsqu’Alain rejoint son père à Los Angeles, Renoir le pousse aussitôt à s’enrôler dans l’US Army alors que le jeune homme de vingt ans espérait rejoindre les Forces françaises libres. En février 1942, il s’exécute et s’embarque en avril pour le Pacifique, où il vendra cher sa peau jusqu’à la fin des hostilités, en luttant pour une patrie qui n’est pas la sienne. Renoir décide en outre de se mettre au service de l’administration de FDR. Comme le raconte Janet Bergstrom, en “février 1941, Renoir apporte son concours aux émissions radiophoniques [diffusées] en français en provenance de Los Angeles [et à destination de la France], et en 1942, il écrit plusieurs missives offrant ses talents en qualité de cinéaste à l’effort de guerre américain” (468).[3] Enfin, en juillet, il se met en rapport avec le Signal Corps pour entrer dans l’Army Pictorial Service (cf. “Letter to Colonel Charles Stodter”), une unité qui se consacre à la prise de photographies, la conception de courts métrages pour les civils et militaires et la documentation des combats.

Cependant, la raison d’être de This Land Is Mine s’inscrit également en réaction à ce que Renoir perçoit comme l’hypocrisie de ses concitoyens, exilés comme lui en Californie. En 1942, Renoir persiste à être tiraillé par des sentiments contraires et complexes. D’une part, il voudrait expliquer à sa terre d’adoption le dilemme posé à sa terre d’origine sous le joug nazi, résister ou collaborer, d’autre part, il regrette vivement l’attitude bravache de ses compatriotes sur les collines ensoleillées de Beverly Hills. Il constate que

le métier de citoyen d’un pays occupé par l’ennemi n’est pas aussi simple qu’on semblait le croire à Hollywood. […] Que d’expéditions victorieuses contre [le régime de] Vichy prirent naissance dans ce café du Sunset Strip. L’héroïsme à 10.000 kilomètres de l’ennemi est facile. (Ma vie et mes films 201–02)[4]

En 1942, dans l’exercice de son art, la situation de Renoir n’est guère plus reluisante. Il vient d’achever non sans mal son opus liminaire outre-Atlantique, Swamp Water (1941), durant lequel de notables divergences d’opinions cinématographiques l’opposent au potentat de la Twentieth Century-Fox Film Corp. Cette querelle viscérale avec le légendaire Darryl F. Zanuck, qui entraîne sa rupture avec la Fox en septembre 1941, atteste de la difficulté d’adaptation de cet artisan face à la standardisation imposée par l’industrie hollywoodienne. De surcroît, sous contrat avec Universal depuis février 1942, Renoir se retrouve englué dans une comédie dramatique à l’eau de rose, The Amazing Mrs. Holliday (1943). Frustré par un tournage chaotique de quarante-sept jours, dû à l’improvisation constante du producteur et scénariste Bruce Manning, Renoir abandonne ce qui aurait dû lui assurer une source de revenus garantie, tout en lui procurant l’occasion de s’engager dans des entreprises au ton plus subjectif, et sûrement plus ambitieuses sur le plan artistique. Officiellement, c’est sa blessure à la jambe, une séquelle de la Grande Guerre, qui l’empêche de mener à bon port The Amazing Mrs. Holliday. À titre privé, c’est Universal qui se résout à mettre fin à toute collaboration avec Renoir, en estimant que le rythme de tournage est trop lent et que le montage est loin d’être à leur goût. En 1942, Renoir n’est plus dès lors en mesure de se permettre d’essuyer un nouvel échec professionnel et surtout financier, d’autant que le cuisant revers de La Règle du jeu (1939), qui l’a en partie persuadé de quitter la France, continue à le hanter.

La décision de Renoir de mettre en scène This Land Is Mine reposerait donc sur diverses causes intrinsèques comme le souligne Peter Harcourt: cette fiction de propagande “peut être considéré[e] comme l’un des projets les plus directement personnels, voire confessionnels, que Renoir ait jamais dirigés […,] elle reflète clairement sa volonté de prendre position contre la guerre” (80–81). Pour le cinéaste, lutter avec ses propres armes équivaut ainsi à concevoir un long métrage ayant pour finalité de convaincre sa patrie d’adoption que sa patrie de naissance n’a pas rendu les armes malgré l’image négative que renvoie Vichy. Cela dit, on ne saurait dissocier la réalisation de This Land Is Mine de nombreux facteurs extrinsèques se rapportant à la réalité d’outre-Atlantique de 1942, qui vont amener l’administration Roosevelt à modifier sa position sur une utilisation plus ciblée de la propagande.

En premier lieu, l’humiliation éclair de l’armée la plus puissante de l’époque, l’armée française, écrasée en à peine six semaines en juin 1940 par la Blitzkrieg, marque un tournant crucial dans cette lutte qui est en voie de se livrer, non sans impact sur la psyché internationale et particulièrement états-unienne. Bien que la future superpuissance s’obstine à opérer sans bureau central d’information, ce qui ne lui paraissait pas une obligation en temps de paix, l’intense guerre psychologique menée par les autocraties la contraint finalement à tourner casaque. Progressivement, au cours de 1941, FDR se résigne à accepter l’ingérence gouvernementale dans la conception et la conduite de la communication de masse. Une kyrielle d’agences gouvernementales, dont certaines presque exclusivement dédiées à la persuasion et à la désinformation, font leur apparition: la Division of Information de l’Office for Emergency Management en mars, l’Office of the Coordinator of Information en juillet, subdivisé en Foreign Information Service en août, et l’Office of Facts and Figures en octobre.

Bien entendu, c’est l’attaque de la base navale de Pearl Harbor par les troupes japonaises le 7 décembre 1941, qui s’avère l’événement déclencheur. Ce désastre sans précédent, largement imputable à l’incompétence de la communauté américaine du renseignement à anticiper l’agression nipponne, constitue une démonstration flagrante de l’inefficacité de cette multitude d’entités, qui, faute d’un mandat clair, souffrent d’un manque total de cohérence et de coordination. À défaut de collaborer entre elles, elles se gênent “par leurs compétences qui se chevauchent, leur autorité limitée et leur structure confuse” (Hart 74).

Quant à l’industrie cinématographique, à laquelle Renoir appartient, dans le contexte de la conflagration guerrière, l’été 1940 voit le commencement d’une coopération souhaitée à la fois par le gouvernement fédéral et Hollywood, néanmoins basée sur des ambitions autant inavouables qu’inavouées de la part de Tinseltown. En 1939, l’Italie fasciste et l’Allemagne hitlérienne, les principaux acquéreurs des grands studios en Europe, interdisent l’importation de films étrangers, entraînant l’effondrement des ventes. Cette situation est un coup dur pour Hollywood, car la plupart des longs métrages dégagent leur plus gros bénéfice sur le marché extérieur après avoir couvert leurs coûts de production sur les États-Unis. En revanche, en retrouvant son indépendance vis-à-vis des nazis, qui exerçaient des pressions jusque sur les plateaux de Los Angeles, l’usine à rêves a dès lors les coudées franches, en lui procurant de la sorte la possibilité de dénoncer ouvertement le Reich sans avoir à craindre les représailles économiques associées aux foudres teutoniques.

Face à cette conjoncture, le secteur du divertissement forme le Motion Picture Committee Cooperating for National Defense en juin 1940. Cette volonté de s’associer à Washington se cantonne au départ à la création, à la distribution et à la diffusion, essentiellement de documentaires dans le cadre de l’effort de guerre. Cependant, cette participation “au programme de défense du gouvernement en 1940 n’est pas un signe de sentiment de responsabilité ou un élan de ferveur patriotique” (Samuelson 9), loin de là. En réalité, la cause principale qui motive cette résolution s’appuie sur un faux calcul. Lorsque “les studios promettent leur ferme soutien à l’administration Roosevelt, […] c’est dans l’espoir que le président en personne demanderait au département de la Justice de cesser ses enquêtes antitrust contre l’industrie cinématographique” (Samuelson 277). En effet, depuis 1938, ce ministère vise “l’abolition de toutes les pratiques monopolistiques […] et fait de l’abandon de leurs salles par les ‘majors’ son cheval de bataille. La procédure aboutit en octobre 1940 à un premier ‘consent decree’ qui ne fait en pratique qu’entériner le statu quo” (Etcheverry 100). Cette tactique de coopération intéressée, pour que Washington maintienne cette situation oligopolistique en bloquant toute décision judiciaire défavorable – ce que Mary Samuelson qualifie “de coup patriotique” (9) – ne portera ses fruits qu’à court terme. Le 3 mai 1948, la Cour suprême rend l’arrêt antitrust, United States v. Paramount Pictures, qui sonne le glas du “Studio system” en obligeant les “majors” à se séparer de leur réseau de salles et en jetant ainsi aux oubliettes les avantages financiers liés à leur intégration verticale.

Cela étant, le traumatisme engendré par le “jour d’infamie” de Pearl Harbor redistribue irrémédiablement les cartes, et met fin à l’isolationnisme dominant de l’entre-deux-guerres. La menace représentée par les forces de l’Axe est désormais imminente, dans le temps et dans l’espace. La réponse doit donc être militaire, mais elle doit s’accompagner aussi d’une intensification de la bataille de l’information et de son corollaire, la désinformation. Pour ce faire, il convient de contrôler les canaux de communication du pouvoir politique et de l’armée tant sur le front intérieur qu’extérieur. L’intégration à part entière de Hollywood dans la machine de guerre devient inéluctable. En février 1941, FDR, conscient de l’intérêt de ce mariage de raison, salue officiellement dans un message retransmis au cours de la cérémonie annuelle des Academy Awards (dit “Les Oscars,” de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences), l’ascendant du septième art sur l’opinion publique. Exprimé en nombre d’entrées en salles au box-office, “en 1930 et 1944 (les deux sommets de la fréquentation cinématographique aux Etats-Unis avec 80 et 82 millions de spectateurs hebdomadaires), on peut dire que tous les Américains capables de se déplacer se rendent une fois par semaine au cinéma” (Bordat 69). D’une certaine manière, c’est dans les salles obscures que la construction identitaire américaine s’opère.

Au départ, les grands studios, tout en continuant à œuvrer en coulisses pour préserver leur monopole économique, paraissent emportés par la vague d’enthousiasme patriotique qui déferle sur la nation au lendemain du coup de tonnerre de Pearl Harbor. Reflet de ce changement de contexte, la commission de juin 1940 est rebaptisée War Activities Committee of the Motion Picture Industry, l’exact jour de l’attaque. Malgré tout, un écueil se profile à l’horizon pour l’oligarchie de Tinseltown. En prévision de l’apparition éventuelle d’un organe de censure – pendant la Grande Guerre, la Division of Films de la Commission Creel avait exercé des pressions non négligeables sur l’usine à rêve – le producteur et président de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, Walter Wanger, exige un contact direct et privilégié avec la Maison-Blanche. Pour satisfaire à cette requête, le 18 décembre 1941, Roosevelt nomme à la tête de l’Office of the Coordinator of Government Films un de ses assistants, Lowell Mellett, ancien journaliste de presse écrite et directeur de l’Office of Government Reports. Le plan d’action de Mellett s’articule autour de trois priorités stratégiques:

(A)gir à titre d’agent de liaison du gouvernement fédéral avec les producteurs et distributeurs, [planifier, créer et distribuer] des courts métrages mandatés [par l’administration…et explorer] les moyens par lesquels [l’industrie cinématographique] peut servir l’effort de guerre. (Roosevelt, “Letter to Lowell Mellett”).

En avril 1942, Mellett, basé à Washington, choisit un de ses confrères Nelson Poynter pour diriger l’antenne de Los Angeles et Sam Spewack, pour en faire de même à New York. La tâche de l’éditeur du St. Petersburg Times consiste à transmettre les directives que le pouvoir politique veut voir illustrées à Hollywood tandis que l’écrivain et producteur d’origine russe se charge de produire des documentaires pour le gouvernement.

C’est donc dans ce contexte de profonds bouleversements économiques, politiques, sociaux et culturels, que l’embryon de l’idée générale de This Land Is Mine s’impose en 1941 durant les multiples conversations que Renoir soutient avec l’un des scénaristes les plus reconnus de cette époque, Dudley Nichols. Une des étapes initiales de la genèse de This Land Is Mine comporte, bien entendu, la rédaction d’un traitement. Cette version abrégée de l’histoire, accompagnée d’une description des personnages actanciels et développée à partir du synopsis, est soumise le 2 avril 1942 à la Screen Writers Guild, l’organisation qui négocie et administre les contrats qui protègent les droits artistiques et économiques des scénaristes.[5] Le 6 juin, le critique Edwin Schallert annonce dans sa colonne du Los Angeles Times que “[l’acteur britannique Charles] Laughton, Nichols et Jean Renoir, qui doit diriger, ont présenté un traitement à Charles Koerner, le vice-président directeur chargé de la production à la RKO” (7). Ce traitement, qui permet d’expliquer succinctement l’argument du film, a pour ambition de convaincre Koerner de la viabilité financière du projet.

En 1942, néanmoins, aux prémices de la conception du scénario, face aux exigences d’un nouveau genre de conflit, la guerre à outrance – menée sur plusieurs continents, impliquant aussi bien les forces armées que les civils, mobilisant toutes les ressources militaires, économiques, politiques et psychologiques au service des hostilités et cherchant la défaite totale de l’adversaire – Roosevelt se voit obligé d’agir en conséquence, en instituant une agence de propagande en bonne et due forme. Six mois après la déclaration de guerre au Pacte tripartite, le 13 juin 1942, FDR se résout à centraliser et à coordonner la communauté du renseignement en instaurant l’Office of War Information, établi au sein de l’Office for Emergency Management dans l’Executive Office of the President. Le mandat confié à ce bureau, qui sera dirigé par Elmer Davis, ancien journaliste du New York Times et commentateur de radio à CBS, est, dans le domaine cinématographique, de “formuler et réaliser […] des programmes d’information destinés à faciliter l’acquisition d’une meilleure compréhension, aux États-Unis et à l’étranger, du statut et des progrès de l’effort de guerre, ainsi que des activités belligérantes et des objectifs du gouvernement américain” (United States, Executive Office of the President Franklin Delano Roosevelt).[6]

En juin 1942, même si le trente-deuxième président des États-Unis continue de préférer la vérité à la désinformation, définissant la mission de cette nouvelle entité comme étant fondée sur le “droit du peuple américain et de tous les peuples opposés aux agresseurs de l’Axe d’être honnêtement informés de l’effort de guerre commun” (FDR), cette stratégie basée sur la transparence se heurte de plein fouet aux impératifs de la réalité. Les membres de son administration concèdent “bien vite que les mensonges, la manipulation des médias et la rétention de certaines informations [sont] indispensables aux intérêts de la sécurité nationale, notamment pour maintenir le moral des troupes et l’unité des Alliés” (Quessard 47). Ironie du sort, cet organisme, qui contient le substantif information dans son intitulé, se transformera rapidement en un écosystème de désinformation et de propagande.

Cependant, un autre aspect à ne pas négliger pour concevoir les rouages internes de l’Office of War Information, et surtout l’étendue de sa compétence, demeure son organigramme. Celui-ci se subdivise en pratique en deux branches. D’une part, les services de renseignement institués de 1939 à 1941, la Division of Information de l’Office for Emergency Management, l’Office of Government Reports et le Bureau of Intelligence de l’Office of Facts and Figures se combinent en une Domestic Branch. Cette branche intérieure, dirigée par l’éditeur de presse Gardner Cowles Jr., a pour cible l’espace national. En revanche, l’Overseas Branch, régie par le dramaturge et confident de Roosevelt, Robert Sherwood, héritière du Foreign Information Service de l’Office of the Coordinator of Information, se concentre sur la sphère internationale, ce qui désigne l’Axe, les Alliés dans les pays libres et occupés, les états neutres et les forces armées américaines cantonnées à l’étranger, à l’exception de l’Amérique latine, qui est couverte par l’Office of the Coordinator of Inter-American Affairs.

Maintenant, le fait le plus important à considérer ici est qu’à peine une quinzaine de jours après l’instauration de l’Office of War Information, le 1er juillet 1942, Hollywood, et donc par la même occasion This Land Is Mine, devient partie intégrante de cette entreprise de propagande unique en son genre. Mellett, qui était jusqu’à là le responsable de l’Office of the Coordinator of Government Films, est nommé chef du Bureau of Motion Pictures de l’Office of War Information. De source officielle, la mission de Mellett est d’exercer une fonction similaire à sa précédente affectation: agir comme agent “de liaison entre l’industrie cinématographique et le gouvernement fédéral en vue de… tenir le public américain parfaitement informé des efforts de guerre” (Davis 3). Officieusement, ce rôle de consultation et de supervision s’accompagne d’un contrôle du contenu ayant pour but la dissémination d’une idéologie délimitée à Washington et diffusée à travers le globe. Le Bureau of Motion Pictures exige désormais à la Mecque du cinéma non seulement de continuer à fournir des documentaires au message non équivoque, mais surtout, “d’entremêler le divertissement avec des thèmes de propagande explicites” (Koppes et Black 63), en transformant un délassement populaire en un vecteur d’endoctrinement: “conseiller les cinéastes sur les films et les sujets susceptibles de contribuer à l’effort de guerre [et] les producteurs sur la meilleure manière d’introduire les thèmes du War Information Program [sur le grand écran]” (Office of War Information).

Autre élément important, en 1942, l’Overseas Branch crée également un Bureau of Overseas Motion Pictures, dont le statut est équivalent au Bureau of Motion Pictures de la Domestic Branch de Mellett. Le scénariste Robert Riskin, qui dirige cette nouvelle agence depuis New York, sera épaulé à Los Angeles à partir du 15 novembre par Ulric Bell, journaliste et sous-directeur de l’ancien Office of Facts and Figures, un organe qui appartenait à la communauté du renseignement, alors que Poynter reste en charge de la Domestic Branch dans la mégalopole californienne. Malgré tout, il existe une différence majeure entre la tâche de laquelle Poynter s’acquitte et celle de Bell, car ce dernier, en collaboration avec le Los Angeles Board of Review, l’antenne locale de l’Office of Censorship créé par Roosevelt en 1941, possède le privilège de décider quels longs métrages sont éligibles pour recevoir une licence d’exportation, ce qui va se révéler comme un facteur déterminant pour asseoir son autorité.

Tandis que Poynter n’a pas le loisir d’exercer de pression directe, son attribution le limitant à prodiguer des conseils pour d’éventuelles modifications de l’intrigue, dépourvu de véritables prérogatives pour imposer ses choix, il en est réduit à demander aux studios de soumettre volontairement leurs scénarios pour être évalués. Bell, pour sa part, dispose d’un vrai pouvoir de coercition. Il se réserve la possibilité d’empêcher la diffusion à l’étranger de toute œuvre, en tandem avec l’Office of Censorship, qui alloue les licences d’exportation. Si, de l’avis de Bell, le projet nuit à l’effort de guerre ou ne correspond tout simplement pas aux thèmes dictés par l’Office of War Information, il peut y mettre son veto, un levier économique que les “majors” prennent très au sérieux. L’éditeur du Motion Picture Herald d’août 1943, William R. Weaver, résume tout aussi logiquement qu’ironiquement l’opinion prévalente: “Personne n’a encore avancé d’argument en faveur d’une fiction dont on sait par avance qu’elle est destinée à une distribution exclusivement nationale” (30).

Nonobstant, même si Davis, le directeur de l’Office of War Information, prétend que “le moyen le plus facile d’injecter une idée de propagande […] est de la laisser s’insinuer dans un divertissement sans que […les spectateurs] se rendent compte qu’ils sont endoctrinés” (Davis et Price 60), Poynter constate rapidement que le spectacle offert dans les salles de cinéma se contente d’offrir une lecture superficielle de la guerre et un récit utopique de l’avenir. En effet, Tinseltown se montre peu soucieuse d’informer sur la bataille idéologique que se livrent deux doctrines politiques diamétralement opposées, la démocratie et le fascisme, une lutte visant à l’annihilation absolue de l’ennemi. Selon Dorothy Jones, la responsable de la Film Analysis Section du Bureau of Motion Pictures:

Hollywood avait tout simplement greffé les hostilités sur des imbroglios de mystère et d’action insipides ou s’en était approprié en tant que toile de fond pour proposer des comédies musicales frivoles et désinvoltes. L’interprétation stagnait à un niveau rudimentaire: les États-Unis combattaient parce qu’ils avaient été attaqués, et ils gagneraient [sans coup férir]. (“Letter to Nelson Poynter”).

En réaction contre ce spectacle affligeant, deux semaines seulement après l’instauration de l’Office of War Information, le 29 juin 1942, Poynter et ses assistants assignent aux magnats des studios le petit livre rouge de la propagande américaine le Government Information Manual for the Motion Picture Industry, qui expose “la vision de l’[Office of War Information] sur l’Amérique, la guerre et le monde” (Koppes et Black 65), en définissant noir sur blanc les attentes du gouvernement. Ce manuel consiste, en fait, en “un condensé des ‘Four Freedoms’ [i.e., Speech de Roosevelt], du discours de 1942 du Vice-président Henry Wallace sur le ‘Century of the Common Man’ et de l’internationalisme idéaliste dominant” (Worland 51). Sur tous les plateaux, à l’exception de la récalcitrante Paramount Pictures qui rue dans les brancards, ce guide, qui sera périodiquement mis à jour, est utilisé au cours de la phase de développement, en encourageant toutes les parties prenantes à concevoir des fictions qui évitent de simplifier à l’excès la réalité, mais aussi à maintenir le moral et éduquer le grand public, ainsi qu’à transmettre une représentation positive des États-Unis dans et hors des frontières. Ce document essentiel, articulé autour d’une série de questions et de thématiques, nous permet surtout de mieux comprendre la synergie entre le septième art et le gouvernement fédéral de cette époque, et il servira notamment de norme de référence au Bureau of Motion Pictures à l’heure de statuer sur les différents projets qui lui sont présentés. Dans cette optique, ce compendium de propagande va jouer un double rôle d’endoctrinement, en prescrivant un message précis, et de censure, en proscrivant tout contenu jugé contraire aux préceptes établis.

En se basant sur les diverses étapes qui structurent l’évolution du scénario de This Land Is Mine d’août à septembre 1942, on peut affirmer que c’est dans ces circonstances sans précédent que Renoir entame la rédaction de la continuité dialoguée, le dernier degré du processus créatif, de concert avec Nichols. Néanmoins, il convient de signaler que bien qu’il s’agisse de la seconde mise en scène de Renoir sur le sol américain, coproduite et distribuée cette fois-ci par la RKO, Nichols en est le scénariste accrédité car Renoir ne maîtrise pas encore assez la langue de Shakespeare. Maintenant, alors que les deux compères, qui ont déjà fait équipe sur Swamp Water, entretiennent une amitié et un respect mutuels, Renoir est “soumis à l’autorité de Nichols, qui tantôt s’exprime en sa qualité de producteur, tantôt défend ce qu’il tient pour ses droits de scénariste [et de dialoguiste]” (Mérigeau 565). D’une manière ou d’une autre, avant de se lancer dans la réalisation de This Land Is Mine, les deux acolytes se voient imposés les interrogations suivantes, qui peuvent se considérer comme les impératifs de production du Government Information Manual for the Motion Picture Industry:

Le film concourra-t-il à la victoire? Quels sont les thèmes liés aux hostilités qu’il cherche à clarifier, à dramatiser ou à interpréter? S’il s’agit d’un divertissement, nuira-t-il à l’effort de guerre en donnant une image erronée des États-Unis, de ses Alliés ou du conflit? Exploite-t-il le thème du combat uniquement à des buts lucratifs, sans s’attacher à contribuer à l’effort de guerre ou en réduisant éventuellement l’impact d’autres longs métrages plus aboutis? Aide-t-il à une meilleure compréhension de la lutte et des forces en présence, ou le sujet a-t-il déjà été suffisamment traité? Reflétera-t-il toujours fidèlement le sujet au moment de sa sortie en salle et répondra-t-il à un besoin existant ou ne sera-t-il plus pertinent? Et son traitement accorde-t-il au spectateur la possibilité de découvrir la vérité ou aura-t-il des motifs pour dénoncer une propagande mensongère?

En plus du questionnaire précédent, Renoir et Nichols doivent également prendre en compte les objectifs identifiés par Roosevelt dans sa première allocution au Congrès en temps de guerre en date du 6 janvier 1942: rassembler le peuple américain autour d’un dessein commun et fixer la vision stratégique du conflit. Dont les enjeux du Government Information Manual (Pourquoi nous battons-nous? Quelle paix suivra la victoire?); l’identité de l’ennemi (Contre qui luttons-nous?); les Alliés (Qui sont nos frères d’armes?); la guerre industrielle (Comment les civils peuvent-ils contribuer à l’effort de guerre?); le front intérieur (Quels sacrifices la population doit-elle faire pour assurer le triomphe final?); et les forces armées (Quel est leur rôle sur le front?).

Cependant, en septembre 1942, au moment où s’achève la mouture définitive du scénario de 172 pages de This Land Is Mine, la transcription spécieuse du combat demeure problématique au sein du microcosme hollywoodien, et ce en dépit de l’oukase de l’Office of War Information. Le chef du Bureau of Motion Pictures, Mellett, dans le journal The Exhibitor du 25 novembre 1942 résume ainsi ce point de vue:

Nous avons reçu un flot d’images […qui s’évertuent à] confirmer notre idée naïve que tous les Allemands sont […] des imbéciles hitlériens, que tous les Japonais sont des saboteurs aux incisives proéminentes et aux lunettes d’écaille, et que n’importe quel correspondant de guerre américain, avec l’aide d’une belle blonde, est capable d’affronter n’importe quelle situation. (4).

L’analyse de la période de mars à septembre 1942 conduite par ce bureau atteste les mêmes lacunes: “une description limitée des problèmes quotidiens, une incapacité à clarifier ou à définir les problèmes fondamentaux et une ignorance totale des problèmes auxquels la nation pourrait être confrontée postérieurement” (Samuelson 368). Selon Poynter, certains studios utilisent “à tort et à travers l’embrasement planétaire comme toile de fond dans une tentative opportuniste de capitaliser sur l’évènement plutôt que de l’interpréter” (“Letter to Charles Enfield”).

En 1942, l’année qui marque un tournant indiscutable sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale, Hollywood ne répond donc toujours pas de manière satisfaisante aux directives du Bureau of Motion Pictures. À la conclusion de la conflagration, en termes de quantité, le bureau aura accompli une tâche titanesque. Dans la revue Hollywood Quarterly d’octobre 1945, l’analyste Jones nous révèle que “de 1942 à 1944 […] plus de 1300 films [ont été produits.] Environ deux tiers des projets réalisés au cours de ces trois années ont été soit vus, soit le scénario final a été lu [ou les deux]” (2). En termes de qualité, les résultats seront plus ou moins mitigés jusqu’en septembre 1945, date de la dissolution de l’Office of War Information.

Maintenant, quels enseignements se dégagent des rapports rédigés par l’Office of War Information, l’un après lecture du script et l’autre après visionnage de This Land Is Mine. Le 7 octobre 1942, Jones, qui évalue le contenu des scénarios soumis au Bureau of Motion Pictures, rédige un compte rendu à partir d’une copie du découpage datée du 2 octobre. À la suite d’un synopsis détaillé, elle explique pourquoi le film se conforme aux exigences de l’Office of War Information:

Si l’ultime version restitue la terreur et les conditions physiques déplorables dans lesquelles vivent les habitants de l’Europe occupée, il s’agira d’une œuvre essentielle […], qui devrait être en mesure de faire prendre conscience à nos compatriotes du fait que nos privations en période de guerre sont minimes comparées à celles de millions d’autres personnes.[7]

Dans la seconde partie de son travail, Jones développe son point de vue en montrant comment This Land Is Mine est susceptible d’aider la population américaine à mieux saisir les enjeux du conflit. Son argument initial repose sur le personnage du commandant Erich von Keller (Walter Slezak), qui s’érige comme une effigie probante du nazisme, un portrait non stéréotypé de l’ennemi, un officier raffiné et cultivé infiniment plus menaçant que le stéréotype de la brute de décoffrage à l’accent guttural. En effet, von Keller s’éloigne radicalement des rôles de hobereaux prussiens, altiers et sans états d’âme, interprétés par Erich von Stroheim à Hollywood au début des années 1940, qui l’affuble du surnom “the man you love to hate.” En revanche, von Keller se rapproche de l’inoubliable capitaine puis commandant aristocrate, engoncé dans sa mémorable minerve, von Rauffenstein de La Grande Illusion, aussi incarné par l’acteur d’origine austro-hongroise. En réalité, von Keller serait le composite de plusieurs individus, dont un membre du parti national-socialiste allemand rencontré à Lisbonne à la veille du départ de Renoir pour les États-Unis, que le cinéaste mentionne dans une lettre de 1942 à von Stroheim: Lors d’un “dîner, il m’a récité de la poésie française avec à peine une pointe d’accent. Il connaissait tout sur la culture française, dont il s’est déclaré un fervent admirateur […]. Cet homme raffiné et cultivé m’a paru infiniment plus dangereux qu’une brute nazie” (146). Von Keller serait donc l’archétype du junker prussien intelligent et sensible du Silence de la mer de Vercors, qui nous rappelle le mythe de la Wehrmacht au comportement korrect – qui circulait aux prémices de l’occupation en France.

Dans la même veine, durant la conversation qui suit le sabotage du chemin de fer, le public apprécie l’ingéniosité avec laquelle von Keller manipule de main de maître l’un des maillons faibles du village, en le persuadant du bien-fondé de sa doxa: “Nous sommes ici pour soutenir des hommes comme vous à reconstruire votre propre pays. Souvenez-vous de ce qu’était l’Allemagne avant notre Führer” dit-il au chef de gare, George Lambert (George Sanders).[8] Plus tard, von Keller ajoute: “Les gens n’étaient pas mauvais, ils attendaient simplement qu’on leur dise la vérité.” Il achève son discours en essayant de convaincre son interlocuteur qu’ils partagent une ambition commune: “une Europe pacifique et unie. Ce n’est qu’à cette condition que votre nation – et des hommes comme vous – récupèreront votre dignité et votre honneur.” Selon Jones, ce passage met clairement en lumière de quelle manière les “membres des communautés occupées, qui se sont compromis […] pour quelque raison que ce soit (intérêt personnel, ignorance ou simple faiblesse), se retrouvent instrumentalisés.”

Dans son rapport, Jones oppose de surcroît le collaborateur Lambert au résistant Albert Lory (Charles Laughton), en soulignant que le choix entre la collaboration et la résistance n’est pas toujours aussi évident qu’on aurait pu le penser:

[D’aucuns] comprennent facilement, […] pour d’autres, cela vient progressivement et amèrement […] nous voyons comment […] un velléitaire [Albert] […], à travers une série d’expériences, prend conscience des valeurs fondamentales de notre société qui sont mises en péril, et choisit de mourir pour cette cause.

Dans la séquence du tribunal, Albert révèle qu’il est tout sauf un patriote de la première heure. Il avoue: “Ma mère m’a fourni de la nourriture supplémentaire et du lait par subterfuge, et je les ai acceptés sans admettre que je privais des enfants et certains plus pauvres que nous de leur ration alimentaire.”

De plus, Jones relève le pouvoir de l’affect ou de l’empathie que le spectateur serait susceptible de ressentir par le biais d’une identification secondaire. This Land Is Mine “pourrait amener tout un chacun à s’interroger sur l’attitude qu’il adopterait dans de pareilles circonstances et, à travers le personnage d’Albert, à se rendre compte que ce qui est primordial ce sont les décisions que l’on prend et non la simple existence.” Enfin, l’analyste met l’accent sur le fait que le film démasque avec justesse la relation antinomique qu’entretient l’idéologie totalitaire avec la réalité: “On nous montre que les nazis et leur ordre nouveau ne peuvent tolérer la vérité.” Un aspect à lequel Lory fait écho dans son réquisitoire lors de son ultime plaidoirie: “Vous devez me condamner à mort […] parce que j’ai essayé de dire la vérité, et celle-ci ne peut pas être tolérée. Elle est trop dangereuse. Cette occupation s’échafaude sur des mensonges.” En effet, le Neuordnung se fonde de facto sur une politique machiavélique où la fin justifie les moyens. Pendant un échange avec Lambert, von Keller lui explique que le mensonge est nécessaire lorsqu’il s’agit de faire prendre un acte de sabotage pour un accident, afin de ne pas avoir à fusiller des innocents qui se transformeraient inévitablement en martyrs. Ultérieurement, von Keller invente de toutes pièces une lettre de suicide pour empêcher Albert de témoigner et d’appeler ses concitoyens à se dresser contre l’occupant.

Plus intéressant encore, le rapport de Jones adresse ensuite une série de suggestions sous forme de questions sur la façon dont le scénario devrait refléter les injonctions de l’Office of War Information. Tout d’abord, This Land Is Mine pourrait représenter une solidarité interalliée tangible:

La symbiose entre la lutte des nations occupées et celle des Alliés mérite de gagner en clarté? Peut-être que les personnages de Sorel et de Lory devraient renforcer l’idée que les populations occupées ne sont pas oubliées, que la guerre se déroule sur plusieurs fronts, et qu’ils font cause commune avec les Chinois, les Russes, les Américains et le reste du monde?

Fort heureusement, si l’on peut dire, ces recommandations ne sont pas suivies, car elles n’auraient rien apporté à l’univers diégétique. En revanche, le découpage évoque laconiquement cette fraternité avec le Royaume-Uni, victime du Blitz de la bataille d’Angleterre, la campagne de pilonnage conduite par l’aviation allemande de septembre 1940 à mai 1941. Lors de la scène où l’on entend le hurlement d’une sirène de raid aérien, la jeune institutrice Louise Martin (Maureen O’Hara) décrit les bombardements des Alliés anglais à ses élèves comme “nos amis du ciel.”

Jones insiste également sur l’impératif de modifier l’intrigue, de sorte que le plaidoyer devienne l’épilogue et le climax, plutôt qu’une étape de la procédure judiciaire:

Albert quitterait le tribunal avec Louise, emporté par l’admiration et les acclamations de l’auditoire […]. Les villageois, […] captivés par son discours, seraient prêts à défier les autorités […]. Il les rassurerait en leur affirmant que ce n’est pas le moment de s’insurger […] et que le temps viendra où ils en auront l’opportunité.

De plus, l’analyste déplore l’asthénie du dénouement: “Bien que la fin soit excellente d’un point de vue idéologique, le langage prosaïque de la ‘Déclaration des droits de l’homme’ semble décevant après l’éloquence et la contemporanéité de la harangue d’Albert [durant son procès].” Une fois de plus, ces remarques restent lettre morte. Renoir et Nichols préfèrent culminer l’action dans la salle de classe de l’instituteur, où celui-ci, désormais maître de son destin, commence à lire la “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen” à ses élèves, avant d’être arrêté par les nazis. Cette lecture est d’autant plus essentielle car elle ne peut pas être interrompue par l’oppresseur dans la mesure où Louise la poursuit jusqu’au fondu enchaîné final. Cette séquence détient ainsi une place centrale dans la diégèse parce qu’elle constitue non seulement une prise de parole mais elle jette aussi les fondements de la révolte des générations futures. Loin de s’ériger en talon d’Achille comme le souligne Jones, la conclusion de This Land Is Mine “confirme l’authenticité de la transformation d’Albert et, plus important encore, convertit ce changement en la validation de l’espoir du professeur Sorel que les enseignants peuvent sauvegarder la vérité chez les enfants” (Sesonske 125).

En outre, Jones considère qu’il serait judicieux d’atténuer quelques perspectives et d’en étayer d’autres. Elle suggère d’illustrer différemment certaines indigences affligeant un village occupé. Selon elle, en raison de “l’énorme pénurie de caoutchouc en Europe, les bicyclettes ont vraisemblablement été confisquées.” Derechef, cette recommandation est ignorée. Paul Martin (Kent Smith), le résistant, se déplace sur un deux-roues, ce qui est historiquement avéré, vu que la petite reine atteint son apogée pendant l’occupation. L’essence étant réquisitionnée par la Wehrmacht, elle devient l’appareil de locomotion par défaut et emblématique de la Résistance car tous les transports en commun, trains, bus, tramways ou métro, sont surveillés par les forces de répression. Notons au passage que deux hauts faits contre des dignitaires nazis impliquent des cyclistes. Au cours de l’Opération Anthropoid de mai 1942, destinée à assassiner le mandataire du Reich en Bohême-Moravie, Reinhard Heydrich, l’auteur de l’attentat s’enfuit par ce moyen. À celle-ci, on peut ajouter l’exécution en septembre 1943 à Paris par un commando de résistance intérieure française du colonel Julius Ritter. Quant au tabac, Jones affirme que: “Nous voyons des cigarettes alors qu’il y a une pénurie en Europe. Il est peu probable que les civils des pays occupés puissent en posséder. Cette mention pourrait être remplacée par une référence à son substitut.” Il est exact que le joug allemand a conduit au rationnement des cigarettes et à l’apparition de divers ersatz. Cependant, quelle que soit sa composition, la présence du tabac se révèle primordiale car elle joue un rôle déterminant dans la construction de l’espace-temps du récit fictionnel, “en tant qu’instrument et symbole de l’interaction sociale” (Sesonske 124).

En effet, dans de nombreuses scènes de This Land Is Mine, son échange est utilisé comme une stratégie de manipulation ou un facteur d’émancipation. Sous le masque de l’amitié, le prototype du traître, Lambert, offre la cigarette du condamné à son ami Paul, après l’avoir dénoncé. Dans le cas d’Albert, lors du dîner chez ce même Paul, ce dernier lui en procure une pour rendre son alibi plus crédible. De cette façon, le mensonge de Lory amorce les prémices de sa rébellion face aux reîtres qui l’interrogent, et son acte de fumer représente son affranchissement vis-à-vis de sa mère castratrice. Enfin, tandis qu’Albert est écroué, il reçoit dans sa cellule la visite de von Keller, dont la première initiative est d’essayer d’acheter son silence en le gratifiant également d’une cigarette pour qu’il ne puisse pas appeler ses compatriotes à se rebeller contre l’autorité. Le paradoxe est que l’officier prend l’acceptation de ce leurre comme un geste de compromission, quand, au contraire, elle renforce en réalité l’expression de l’indépendance d’Albert.

Finalement, Jones s’avère plus perspicace à l’instant où elle met en évidence la dissonance qui existe entre les élèves de Lory et Louise, qui ont l’air bien nourris et rayonnent d’énergie et de bonne humeur, et les conditions de vie misérables des enfants des nations occupées. Effectivement, c’est probablement là que le bât blesse dans This Land Is Mine, car lorsqu’il s’agit de montrer la dépravation physique et morale, les élèves d’Albert lui font des farces, se moquent de lui, plaisantent, et paraissent bien alimentés, ce qui semble, bien entendu, aller à l’encontre de la véracité historique. Il est indéniable que dans la France des années noires, la malnutrition, le rationnement et la faim sont à l’ordre du jour. À cet égard, la sélection des acteurs et l’agencement de l’intrigue auraient pu ou dû être davantage fidèles à cette évidence.

Dès lors, si l’on suit la logique du processus d’évaluation du Bureau of Motion Pictures, l’analyse de Jones est transmise à la RKO afin que le scénario soit modifié en conséquence. Dans cette optique, on comprend que le 9 octobre 1942, Poynter adresse une lettre à Nichols, qui reprend les arguments soulevés par Jones dans son rapport, à savoir la nécessité de décrire plus clairement la solidarité interalliée entre les peuples occupés, de mieux illustrer les privations alimentaires et les pénuries matérielles, et de minimiser le décalage entre le bien-être des élèves de Lory et la détresse des enfants dans les pays assujettis à la domination nazie (“Letter to Dudley Nichols”). À ceux-ci, Poynter ajoute un élément supplémentaire: dans l’ultime prise de parole de Lory, Poynter souhaiterait que les scénaristes confrontent l’expression de la vitalité démocratique avec le culte de l’obéissance à l’autorité des régimes totalitaires.

En effet, une grande partie de la lutte repose sur la maîtrise du futur, c’est-à-dire le façonnement des nouvelles générations, une tournure récurrente puisqu’Albert est pédagogue. Quand celui-ci est emprisonné entre ses deux comparutions, von Keller insiste sur son rôle d’éducateur: “En qualité de maître d’école, vous avez un grand devoir: la régénération de la jeunesse.” Cette palingénésie de la société par l’éducation au service d’une idéologie trouve son origine dans l’endoctrinement du Reich. Avant même son arrivée au pouvoir, Adolf Hitler entend enrôler les enfants et les adolescents dans les Hitlerjugend afin de renforcer le culte de la race aryenne et lever une authentique armée dévouée corps et âme au Reich. Il s’agit en outre d’établir un contrôle absolu sur les programmes scolaires, comme le montre l’expurgation des manuels contraires à l’idéologie totalitaire dans l’école de Lory. En ce sens, This Land Is Mine contraste l’esprit de soumission imposé par von Keller, qui ordonne l’élimination des pages faisant référence aux idées révolutionnaires émancipatrices, avec l’éducation basée sur les principes démocratiques fondamentaux qu’Albert, Louise et le directeur de l’école Sorel (Philip Merivale) tentent d’inculquer à leurs élèves. Sorel, résistant et ami de Lory, lui rappellera que l’on peut détruire le corps, mais en aucun cas l’esprit, ce qui constitue le focus du film: “Nous incarnons ces livres, nous sommes la vérité, et ils ne peuvent pas faire disparaître la vérité sans se débarrasser de chacun d’entre nous. Nous avons la possibilité de sauvegarder la vérité si les enfants croient en nous.” Albert appliquera ces propos à la lettre. Ainsi, à l’occasion du dénouement dans la salle de classe, au moment où il lit les préambules de la “Déclaration des droits de l’homme,” ses élèves, dont Julian et Henry, ses chahuteurs habituels, l’écoutent religieusement et le respectent comme jamais auparavant. Ici s’annonce l’ultime victoire sur l’ennemi.

À la lecture du compte rendu de Jones et de la lettre de Poynter nous découvrons que Nichols et Renoir n’ont apparemment pas adopté les recommandations du Bureau of Motion Pictures, qui auraient inévitablement affaibli l’intrigue. Ceci nous autorise à corroborer l’hypothèse d’Allan Winkler, qui affirme que le bureau a “fonctionné comme un observateur passif, car Hollywood ne permettait aucune interférence. Avec des ressources limitées, le Bureau n’avait d’autre choix que de s’aligner” (59). Finalement, le 11 octobre 1942, le tournage commence, et s’achève deux mois plus tard, le 11 décembre. La semaine suivante, la phase de montage, est consacrée à tester le long métrage auprès du public lors d’une série de projections privées. Dans l’intention de se mettre au diapason avec les attentes exprimées par ces spectateurs, la RKO, qui détient le dernier mot en tant que producteur et distributeur, demande un certain nombre de coupes et d’ajouts. Le 18 décembre, des prises de vues supplémentaires sont effectuées. Le 18 janvier 1943 débute la mise en conformité du film.

L’étape suivante survient le 24 février 1943. Un comité composé de quatre femmes du bureau de Los Angeles de l’Office of War Information assiste à une séance de visionnage privée de This Land Is Mine: Dorothy Jones (déjà citée), Madeleine Ruthven, Sally Kaye et Lillian Bergquist, vice-présidente de la Screen Readers Guild, une guilde de scénaristes hollywoodiens chargée d’évaluer la viabilité économique et artistique de projets de scripts. Le 3 mars 1943, l’analyste en chef, Bergquist, rédige la deuxième version du rapport du Bureau of Motion Pictures, cette fois-ci après projection.[9] Décrit selon les critères de l’opuscule de l’Office of War Information, This Land Is Mine est classifié comme un drame dont le thème principal est l’identité des Alliés (les conditions de vie des nations occupées) et dont le sujet annexe est l’ennemi. À la suite de quelques pages dédiées au synopsis, Bergquist explique comment This Land Is Mine touche une corde sensible.

Dans son exposé, Bergquist reprend l’argument de l’identification secondaire du spectateur de Jones tout en louant le fait que l’action de This Land Is Mine ne se déroule pas dans un pays particulier: “Les protagonistes, leur vie et le lieu où ils vivent, ont une portée universelle, ce qui rend la trame doublement efficace. Nous pourrions être ces personnages et cette ville pourrait être la nôtre.” Rétrospectivement, cet aspect correspond plus à un impératif de production qu’à un choix d’auteur. Dans un entretien accordé à Kira Appel du quotidien Paris-Presse du 4 décembre 1946, Renoir reconnaît que “bien que l’atmosphère de chez nous y fût aisément discernable, le studio [RKO] ne me permit pas de mentionner le nom de la France (pour des motifs d’ordre commercial) tant la ligne de conduite de ses dirigeants politiques [du régime de Vichy] avait créé [aux États-Unis] des sentiments d’animosité à son égard.”

Considéré sous un autre angle, Bergquist, membre actif du Communist Party of the United States of America, ajoute une lecture marxisante à This Land Is Mine, en soutenant que “la classe ouvrière est […] consciente des spectres du fascisme, tandis que les membres de [la bourgeoisie…] sont moins enclins à comprendre qu’ils deviendraient eux aussi des esclaves dans une société fasciste, et sont donc prédisposés à penser qu’ils ne perdront rien en collaborant.” Même si Bergquist semble oublier qu’un membre de l’élite économique du village, le directeur de l’école, est le coryphée du mouvement d’opposition clandestine, elle fait preuve de sagacité en soulignant l’existence d’une hétérogénéité sociale face au refus des théories totalitaires, un thème rarement abordé à Hollywood dans les années 1940, à une époque où les syndicats ouvriers pâtissent d’une mauvaise presse. Fort justement, pour illustrer cette distinction, le film met en balance un binôme relevant de milieux disparates: le résistant, Paul, un ouvrier cheminot, et le collaborateur, Lambert, son patron et nanti chef de gare.

Lors de l’une de ses conversations avec von Keller, Lambert confirme la prégnance de cette lutte des classes: “Je veux un ordre nouveau pour ma patrie [et je ne peux accepter] les idées faussement démocratiques d’avant-guerre, les femmes se gardant d’avoir des enfants, les grèves dans les usines pour obtenir la semaine de 40 heures alors que les vôtres travaillaient 70 et 80 heures.” Cette déclaration, qui nous renvoie au contexte de 1940, fait naturellement écho aux propos du maréchal Pétain. Affirmant avoir tiré les leçons de la défaite, le chef de l’État français dénonce le présumé esprit de jouissance qui aurait prévalu sur l’esprit de sacrifice durant l’entre-deux-guerres. Pour protéger l’état-major, dont il ressort, le héros de Verdun impute la débâcle aux politiciens de la IIIe République et notamment aux réformes du Front populaire, les congés payés et l’ensemble des acquis sociaux de 1936, et leurs répercussions, les grèves de la Gueuse – plutôt qu’aux vrais coupables, l’impéritie du commandement militaire de mai 1940.

Remarquons au passage que, bien que cette interprétation marxiste ait été formulée par Bergquist, dès la genèse du scénario, Renoir la mentionne dans une lettre adressée à son fils Alain datée du 13 septembre 1942: This Land Is Mine “montre, je l’espère clairement, que certains chefs européens ont préféré voir les nazis pénétrer dans leur propre pays que d’accorder quelques avantages à leurs ouvriers. C’est toute l’histoire du collaborationnisme conscient ou inconscient, honnête ou malhonnête, que nous essayons d’expliquer” (121). Des paroles partisanes que Renoir prête à Albert lors d’une conversation avec sa mère: “Je sais maintenant pourquoi nous avons été battus: quelques-uns avaient plus peur de leurs propres concitoyens que de l’ennemi.” Plus tard, au cours de son procès, Albert renchérit: “Bien avant la guerre, notre maire était convaincu qu’une partie de notre peuple constituait notre principal adversaire, et pas les Allemands.” Une hypothèse chère à Renoir que François Truffaut avait émise à propos de La Grande Illusion, qui serait construite “sur l’idée que le monde se divise horizontalement, par affinités, et non verticalement, par frontières” (75). L’hétérogénéité sociale jouerait donc un rôle beaucoup plus crucial que l’appartenance nationale à l’heure de choisir son camp.

Dans la même perspective, Bergquist déplore qu’un autre type de collaboration ne soit pas présenté. This Land Is Mine décline le collaborateur, mais pas le collaborationniste, “le fasciste autochtone qui a une inclination à faire des affaires avec l’occupant parce qu’il partage avec lui une idéologie similaire.” Ici, il convient de préciser que selon les spécialistes, le premier est généralement un opportuniste, son action n’est pas déterminée par une croyance politique, en revanche, le second opère au nom d’une idéologie commune. Vraisemblablement, Bergquist allusionne au discours infâme, radiodiffusé le 22 juin 1942, de Pierre Laval, bras droit de Pétain et chef du gouvernement de Vichy à partir du mois d’avril 1942, qui apporte ouvertement son soutien à l’occupant en s’adressant aux Français: “Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme demain s’installerait partout.” Dans This Land Is Mine, il est évident que les collaborateurs sont davantage motivés par des préjugés de caste que par des convergences idéologiques. Von Keller ne se trompe pas en les décrivant avec mépris en ces termes: “Lambert est un individu très fidèle, sinon très brillant. Quant au maire, il agit pour préserver ses propres intérêts. Nous avons besoin d’eux, et nous les trouvons dans tous les territoires que nous envahissons.” Une fois de plus, Renoir et Nichols ignorent ce conseil. En réalité, la présence d’un protagoniste fasciste unidimensionnel aurait été contraire à leur volonté d’éviter les clichés afin de donner de la nuance et de la profondeur à leurs personnages. Le rapport conclut que l’œuvre ne pose aucun problème du point de vue de l’Overseas Branch. This Land Is Mine pourra par conséquent être distribué sur le marché extérieur.

Dans la deuxième section du document, divisé en Domestic Branch et Overseas Branch, Bergquist poursuit son analyse des motifs pour lesquels elle considère que This Land Is Mine contribue à la mission de l’Office of War Information, et surtout son utilité pour être diffusé à l’étranger. Son raisonnement initial est que le film illustre parfaitement les enjeux de la guerre au moyen d’un exposé judicieux de la vie quotidienne des civils sous l’occupation. Plus important encore, elle revient sur l’argument de Jones sur le Neuordnung en y associant le concept de la servitude qui en découle. “L’ordre nouveau est un mode de vie dans lequel le libre arbitre n’existe plus, l’éducation devient un simulacre et la vérité est déformée ou s’évanouit, […] la justice n’est plus qu’un souvenir et on peut être fusillé uniquement pour avoir défendu son opinion.” À juste titre, This Land Is Mine se prononce contre cette fausse promesse de liberté de von Keller, qui se résume à l’asservissement de tous les peuples occupés. Depuis sa cellule, Albert assiste impuissant à une justice bafouée qui condamne à mort des otages innocents, en guise de représailles à la suite d’un attentat. “J’ai vu dix hommes mourir parce qu’ils continuaient à croire en la liberté,” déclare-t-il.

Enfin, Bergquist renchérit sur les implications de la collaboration. “Tout accommodement est funeste. Ceux qui tentent de se sauver en se compromettant avec leur oppresseur périclitent ou s’avilissent; chaque exigence du maître fasciste à laquelle on cède en engendre une autre, toujours plus contraignante, jusqu’à ce que l’individu perde toute indépendance.” Dans This Land Is Mine, vendre son âme conduit inévitablement au déshonneur, ou, pire encore, à la mort. C’est la néfaste fortune des deux personnages qui se font les auteurs de délations, un phénomène largement répandu pendant les années sombres, admirablement décrit par Henri-Georges Clouzot dans Le Corbeau (1943). Lambert, rongé par le remords après avoir trahi son ami Paul, se suicide comme Judas, manifestant l’absence de tout espoir rédempteur, et ainsi métaphoriquement à admettre le pardon et la miséricorde. Tandis qu’en dénonçant Paul pour faire libérer son fils de prison, la mère d’Albert Lory, Emma (Una O’Connor), provoque involontairement l’arrestation et la disparition de son rejeton. De même, le magistrat de la commune, Henry Manville (Thurston Hall), perd peu à peu le contrôle de ses actes. Au départ, il se retranche derrière son mandat: “Je fais mon devoir. […] Je suis maire de la ville et mon obligation est de la protéger,” acceptant avec soumission la poignée de main symbolique avec l’autorité nazie, une séquence qui nous rappelle bien évidemment l’entrevue de Montoire du 24 octobre 1940 entre Pétain et le Führer Adolf Hitler, qui marque l’exorde de la collaboration formelle entre les deux pays. Ce coup de poignard de l’officier municipal dans le dos de ses concitoyens entraînera son ultime disgrâce, son implication directe dans l’arrestation et l’exécution des rebelles, dont celles de son soi-disant ami le professeur Sorel.

La conclusion du rapport de la Domestic Branch de Bergquist est tout aussi positive que celle de Jones: “This Land Is Mine dramatise les enjeux et contribue à clarifier de manière constructive la nature et les objectifs de l’ennemi […]. C’est l’une des meilleures productions de Hollywood.” La mise en conformité du film avec toutes les parties prenantes, la RKO, le public de la projection test et le Bureau of Motion Pictures s’achève au début du mois de mars de 1943. Renoir et Nichols ont par conséquent la possibilité de prendre en compte les recommandations de l’Office of War Information. Pourtant, il s’avère qu’ils en décident tout autrement si l’on compare les suggestions de l’agence de propagande avec le résultat final qui nous est offert aujourd’hui.

Le 12 mars 1943, le long métrage est projeté en avant-première à la presse. Le dernier mot appartient à Bell, responsable du Bureau of Overseas Motion Pictures. Le 15, il envoie une notice à William Gordon, agent de liaison de la RKO avec l’Office of War Information et la Production Code Administration, annonçant son accord avec Bergquist et lui demandant de transmettre le compte rendu de la Domestic Branch à Nichols.[10] Le 24, dans une seconde lettre à Gordon, Bell communique que l’Overseas Branch du Bureau of Overseas Motion Pictures approuve la distribution sur divers marchés extérieurs, qui, en fait, se limitent à l’Extrême-Orient: les Philippines, la Chine, la Thaïlande, le Japon, la Corée, l’Indochine française, la Birmanie (le Myanmar), la Malaisie et l’Indonésie.

Au terme de cette analyse de This Land Is Mine, selon une missive que Renoir adresse le 15 mars 1943 à son agent littéraire Maximilian Becker, il apparaît clairement que les uniques coupes apportées ont été effectués au montage, mais pas pour les raisons que l’on aurait pu escompter: “[Il] était nécessaire d’atténuer certains passages trop crus et, par contraste, de donner plus de poids à certains rôles qui avaient été négligés” (151). Onze ans plus tard, dans l’entretien avec les Cahiers du cinéma de 1954, Renoir corrobore cette affirmation en révélant que ces retouches ont été accomplies à des fins persuasives. À aucun instant, il ne mentionne une quelconque pression de la part de l’Office of War Information: “[This Land Is Mine] voulait convaincre, […] j’ai donc pensé qu’il fallait être prudent et pouvoir modifier le montage […]. [J’ai] vraiment cadré le film, je l’ai coupé comme un film commercial, pour pouvoir au besoin le modifier au montage, et doser, par des previews, les effets sur un public que je voulais convaincre” (13–14). Le 7 mai 1943, le long métrage sort sur le marché domestique, et en juin 1943, en Asie orientale dans les pays cités précédemment.

En 1943, Nichols confirme dans le numéro d’octobre de la revue Theatre Arts l’élément déclencheur qui l’a conduit avec Renoir à réaliser This Land Is Mine: “Nous n’étions pas satisfaits des films antifascistes que nous avions vus, parce qu’ils donnaient tous l’impression d’être des déformations qui n’abordaient le mal que superficiellement […]. Nous savions que nous devions attaquer l’iniquité à travers ses idées” (595). Effectivement, en s’identifiant à Albert, héros malgré lui, le spectateur est amené à prendre conscience que la responsabilité de chacun est engagée dans une lutte où s’affrontent non seulement des hommes sur le champ de bataille, mais plus particulièrement une vision antagonique de l’avenir entre des idéologies viscéralement opposées. En 1942, après presque deux années passées loin de sa patrie de naissance, Renoir s’investit par conséquent dans un combat très personnel. Il cherche à gagner à sa cause l’opinion publique américaine en essayant de la persuader que la France occupée continue à se battre, et que l’ennemi ne peut se réduire à la caricature réductrice d’une brute simpliste et gesticulante qui hurle des ordres à tue-tête quand, au contraire, celui-ci fonde sa légitimité sur une doctrine délétère, soutenue par l’ensemble d’une masse fanatisée par son chef et sa vision nihiliste nietzschéenne de la réalité.

Somme toute, l’Office of War Information aura utilisé de multiples médias tels que la radio, la presse, la photographie et les affiches pour diffuser son message. Toutefois, le support le plus efficace et le plus populaire de l’époque, le cinéma, encore balbutiant au moment de la Première Guerre mondiale (le parlant date de 1927), devient rapidement un instrument de propagande essentiel pour cette agence. Cependant, bien que le Bureau of Motion Pictures encourage les grands studios à produire des œuvres de fiction, qui correspondent aux thèmes préalablement déterminés dans le Government Information Manual for the Motion Picture Industry, Tinseltown se complaît le plus souvent dans l’illusion du carton-pâte et du faux-semblant. C’est pourquoi, avec son intrigue qui privilégie l’idée à l’action, This Land Is Mine est très favorablement accueilli par l’Office of War Information, car il répond admirablement aux injonctions fixées le 29 juin 1942. Il offre un portrait le plus complet possible, compte tenu des limitations imposées par la rupture des relations diplomatiques franco-américaines du 8 novembre 1942 qui provoque que les nouvelles de l’Hexagone arrivent au compte-gouttes, des conditions de vie dans une ville occupée où un embryon de résistance se met en place, ainsi qu’un exposé succinct de l’idéologie nazie, à travers, bien naturellement, le prisme hollywoodien.

En définitive, si l’Office of War Information représente “la tentative gouvernementale la plus exhaustive et la plus prononcée de modifier le contenu d’un média de masse dans l’histoire des États-Unis” (Koppes et Black 324), l’examen approfondi de la production de This Land Is Mine nous incite à relativiser son efficacité, ou du moins la rigueur de ses interventions, sans pour cela, bien entendu, pouvoir extrapoler cet exemple à l’ensemble des films sortis pendant les années 1940. Cependant, il semblerait que l’Office of War Information n’ait eu que très peu d’influence sur This Land Is Mine et sur Hollywood en général, jusqu’à la disparition de la branche domestique en juillet 1943, et celle de la branche extérieure en août 1945 quand l’Office of War Information sera irrévocablement dissout.

Enfin, de façon rétrospective, notons que si les suggestions du Bureau of Motion Pictures avaient été suivies, comme ajouter un personnage fasciste convaincu, faire allusion à la cause chinoise ou russe, montrer la pénurie ambiante en évitant toute mention de bicyclettes et de tabac, ou bien encore changer le dénouement, pour faire du procès de Lory l’épilogue, ces changements auraient très certainement affaibli l’argumentation de This Land Is Mine. Le succès auprès de la critique et du public américains et à l’étranger – à l’exception de la France, où le film s’avère un échec retentissant en 1946 – paraît donner raison à Renoir et Nichols quant à leurs choix artistiques. Dernier point mais non le moindre, This Land Is Mine ouvre la voie d’une coopération directe de Renoir avec Washington, qui se concrétise en 1944, par une invitation de l’Office of War Information à réaliser un court métrage “éducatif” alternant scènes de fictions et images d’archives, A Salute to France.

 

Works Cited

The Amazing Mrs. Holliday. Dir. Bruce Manning et Jean Renoir, Universal Pictures, 1943.

Appel, Kira. “Jean Renoir répond à ses critiques.” Paris-Presse, no. 639, 4 décembre 1946.

Bergstrom, Janet. “Jean Renoir’s Return to France.” Poetics Today, vol. 17, no. 3, 1996, p. 453–89.

Bled (Le). Dir. Jean Renoir, Les Films Historiques, 1929.

Bordat, Francis. “De la crise à la guerre: le spectacle cinématographique à l’âge d’or des studios.” Cent ans d’aller au cinéma: Le spectacle cinématographique aux États-Unis, 1896–1995, Eds. Bordat, Francis et Michel Etcheverry, PU de Rennes, 1995. p. 65–85.

 Corbeau (Le). Dir. Henri-Georges Clouzot, Continental Films, 1943.

Davis, Elmer. Regulation No. 1, 18 July 1942, p. 3.

–––––, et Byron Price. War Information and Censorship. American Council on Public Affairs, 1943.

Dictionnaire de l’Académie française. “Propagande,” 5ème édition, 1798.
https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A5P2249
–––––. “Propagande,” 9ème édition, 2011.

https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9P4598

Domenach, Jean-Marie. “De la propagande politique.” Esprit, no. 111, 1945, p. 26–41.

Doringe [Henriette Blot]. “Et voici le lieutenant Jean Renoir.” Pour Vous, no. 570, 18 octobre 1939, p. 4–5.

Etcheverry, Michel. “Les conséquences des mesures antitrust.” Cent ans d’aller au cinéma: Le spectacle cinématographique aux États-Unis, 1896–1995, Eds. Bordat, Francis et Michel Etcheverry, PU de Rennes, 1995. p. 99–102.

Ferro, Marc. Histoire des colonisations. Points Histoire, 1994.

Government Information Manual for the Motion Picture Industry, Record Group 208, Records of the Office of War Information, National Archives at College Park, MD.

Grande Illusion (La). Dir. Jean Renoir, Réalisation d’art cinématographique, 1937.

Harcourt, Peter. Six European Directors. Penguin, 1974.

Hart, Justin. Empire of Ideas: The Origins of Public Diplomacy and the Transformation of U. S. Foreign Policy. Oxford UP, 2013.

Jones, Dorothy. “Letter to Nelson Poynter.” War Features Inventory, 15 September 1942, Box 1435, Records of the Office of War Information, National Archives at College Park, MD.

–––––. “The Hollywood War Film: 1942–1944.” Hollywood Quarterly, vol. 1, no. 1, 1945, p. 1–19.

Koppes, Clayton, et Gregory Black. Hollywood Goes to War: How Politics, Profits and Propaganda Shaped World War II Movies. U of California P, 1987.

Launey, Stéphane. “Jean Renoir sous l’uniforme.” Revue historique des armées, no. 259, 2010, p. 79–92.

Laval, Pierre. Discours radiodiffusé, 22 juin 1942, Radio-Vichy.

Marseillaise (La). Dir. Jean Renoir, Compagnie Jean Renoir, Société d’Exploitation et de Distribution de Films et Confédération Générale du Travail, 1938.

Mellett, Lowell. “Wartime Motion Pictures.” The Exhibitor New York State Edition, 25 November 1942, p. 4.

Mérigeau, Pascal. Jean Renoir. Flammarion, 2012.

Nichols, Dudley. “The Writer and the Film.” Theatre Arts, Oct. 1943, p. 591–602.

Office of War Information, 23 April 1943, Record Group 208, Records of the Office of War Information, Bureau of Motion Pictures Hollywood Office, National Archives at College Park, MD.

Poynter, Nelson. “Letter to Dudley Nichols.” 9 October 1942, Box 3515, Records of the Office of War Information, National Archives at College Park, MD.

–––––. “Letter to Charles Enfield.” 28 October 1942, Box 3515, Records of the Office of War Information, National Archives at College Park, MD.

Quemada, Bernard. Trésor de la Langue Française. Dictionnaire de la langue du XIXᵉ et du XXᵉ siècle (1789–1960), CNRS/Gallimard, 1987. Tome 13.

Quessard, Maud. Stratégies d’influence et guerres de l’information: Propagande et diplomatie publique des États-Unis depuis la guerre froide. PU de Rennes, 2019.

Renoir, Jean. “Letter to Colonel Charles Stodter, United States Signal Corps.” 6 July 1942. Jean Renoir Papers (Collection PASC 105), Correspondence, Box 3, Folder 7. UCLA Library Special Collections, Charles E. Young Research Library, University of California, Los Angeles. Manuscrit.

–––––. “À Erich von Stroheim.” 27 août 1942, Jean Renoir, Correspondance [1913–1978], ed. David Thompson et Lorraine LoBianco, Plon, 1998, p. 145–46.

–––––. “À Alain Renoir.” 13 septembre 1942, Jean Renoir, Lettres d’Amérique, ed. Dido Renoir et Alexander Sesonske, Presses de la Renaissance, 1984, p. 121.

–––––. “To Maximilian Becker.” 15 March 1943, Jean Renoir, Correspondance [1913–1978], ed. David Thompson et Lorraine LoBianco, Plon, 1998, p. 151.

–––––. “À Mme Louise Chevalier-Munier.” 15 mai 1946, Jean Renoir, Correspondance [1913–1978], ed. David Thompson et Lorraine LoBianco, Plon, 1998, p. 179.

–––––. Ma vie et mes films, Flammarion, 1974.

Rivette, Jacques, et François Truffaut. “Entretien avec Jean Renoir.” Cahiers du cinéma, no. 34, avril 1954, p. 3–22.

Roosevelt, Franklin D. “Annual Message (Four Freedoms) to Congress.” 6 January 1941. Records of the United States Senate, SEN 77A–H1, Record Group 46, National Archives Museum, Washington, DC.

–––––. “13th Academy Awards Ceremony, Hollywood, California, 27 February 1941.”

https://fdr.blogs.archives.gov/2021/04/21/and-the-winner-is-fdr-and-the-13th-academy-awards-ceremony/

–––––. “Letter to Lowell Mellett.” 18 December 1941. Motion Pictures and World War II Files, 1937–1948, Collection 1218, War Activities Committee 1942 Folder, Margaret Herrick Library, Beverly Hills, CA.

Salute to France (A). Dir. Jean Renoir, U.S. Office of War Information – United Films, 1944.

Samuelson, Mary. The Patriotic Play: Roosevelt, Antitrust, and the War Activities Committee of the Motion Picture Industry. 2014. UCLA, Thèse de doctorat.

Schallert, Edwin. “Sanders Marching On; Disney Gets ‘Faust’ Idea.” The Los Angeles Times, 6 June 1942.

Sesonske, Alexander. “Jean Renoir in America: 1942, This Land is Mine.” Persistence of Vision, no. 12–13, 1996, p. 103–35.

Swamp Water. Dir. Jean Renoir, Twentieth Century-Fox, 1941.

This Land Is Mine. Dir. Jean Renoir, RKO Radio Pictures, 1943.

–––––. Record Group 208, Records of War Information, Motion Picture Reviews and Analysis, Entry NC 148 567, Box 3527@ 350/75/33/5, National Archives at College Park, MD.

Truffaut, François. Les films de ma vie. Champs-arts, 2019.

United States, Executive Office of the President Franklin D. Roosevelt. Executive Order 9182: Establishing the Office of War Information. 16 June 1942. Federal Register, vol. 7, no. 117, 16 June 1942, p. 4468–69.

Vercors [Jean Bruller]. Le Silence de la mer. Éditions de minuit, 1942.

Vie est à nous (La). Dir. Jean Renoir, Parti communiste français, 1936.

Weaver, William R. “OWI Keeps Watchful Eye On Films Despite Cut.” Motion Picture Herald, 14 août 1943, p. 30.

Winkler, Allan. The Politics of Propaganda: The Office of War Information, 1942–1945. Yale UP, 1978.

Worland, Rick. “OWI Meets the Monsters: Hollywood Horror Films and War Propaganda, 1942 to 1945.” Cinema Journal, vol. 37, no. 1, 1997, p. 47–65.

 

Notes

[1] Les “Jeunes Turcs” de la Nouvelle Vague sont les jeunes collaborateurs des Cahiers du cinéma, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Éric Rohmer, Jacques Rivette et Claude Chabrol, ainsi surnommés par le critique de cinéma André Bazin.

[2] Frédéric Levéziel tient à exprimer sa profonde gratitude à Dr. Janet Bergstrom pour l’avoir chaleureusement accueilli en tant que professeur invité et d’avoir accepté de guider ses réflexions durant ses recherches sur les archives Renoir à UCLA. Il tient à remercier également le personnel des National Archives at College Park, et en particulier Michael J. Hancock, spécialiste des archives du service de recherche.

[3] Toutes les traductions de sources en anglais sont nos traductions.

[4] Quant au café, il s’agit du populaire restaurant et boîte de nuit de Preston Sturges, l’homme à tout faire du cinéma de l’époque, The Players.

[5] Jean Renoir Papers (Collection PASC 105), Production Files, Box 12, Folder 2. UCLA Library Special Collections, Charles E. Young Research Library, University of California, Los Angeles. Manuscrit.

[6] Ci-après, abrégé comme FDR.

[7] Toutes les citations de Dorothy Jones sont extraites du rapport de l’Office of War Information sur This Land Is Mine [s.p.].

[8] Toutes les citations de personnages sont tirées du film This Land Is Mine (1943).

[9] Toutes les citations de Lillian Bergquist sont extraites du rapport de l’Office of War Information sur This Land Is Mine.

[10] La Production Code Administration impose à l’industrie cinématographique une autocensure basée sur un ensemble de règles de morale chrétienne.

Leave a Reply